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jeudi 11 juin 2015

RENDEZ-VOUS AVEC L’HISTOIRE A YORKTOWN


Nouveau monde, nouveau style de navigation. Au départ de Miami deux options se présentent pour remonter vers Norfolk : soit emprunter les Intracoastal Waterways(1) (ICW), canaux bien balisés avec hauts fonds, ponts fixes et mobiles et écluses, soit naviguer à l’extérieur, côté mer. Emprunter les ICW offre l’avantage d’une grande diversité de paysages mais aussi l’énorme inconvénient d’une navigation au moteur des journées entières.  La motorisation de Philéas -27 CV-  et son hélice bipale « bec de canard » ne sont pas la panacée pour parcourir des milles avec un impératif de dates. Le choix de rejoindre Beaufort,  distant de 600 nautiques,  par voie maritime est plus adapté à notre voilier. La mer désordonnée et les vents irréguliers ne font preuve d’aucune complaisance, une fois encore.
Trois nuits et quatre jours plus tard, Philéas jettent l’ancre en Caroline du Nord à proximité d’une base de garde-côtes. Les eaux poissonneuses sont fréquentées par de nombreux oiseaux de mer et par un petit groupe de dauphins. Le jour décline peu à peu, nous profitons de la quiétude de la baie. Demain nous rejoindrons la ville.


Beaufort
Beaufort est une charmante bourgade aux maisons construites en bois dans les années 1700 et 1800. Planté au milieu des pelouses impeccablement entretenues, le drapeau américain flotte devant chaque demeure, dont la plus ancienne date de 1728. Sur chaque terrasse des rocking chairs attendent la fraîcheur de la soirée pour balancer leurs occupants. Beaufort, ville de villégiature, vit au ralenti, stress et agitation y sont inconnus. Les habitants engagent plaisamment la discussion avec le badaud.
Les écureuils concierges


Au cimetière une petite cabane aérienne posée entre deux grosses branches d’un bel arbre bicentenaire, attire notre regard. Deux têtes d’écureuil apparaissent, tels des concierges derrière leur fenêtre. Sont-ils les gardiens des âmes des  paisibles occupants ?



Plus loin, nouvelle surprise, un véhicule datant de 1950 dénote au milieu des grosses cylindrées flambant neuves, pourtant nous ne sommes plus à Cuba ! Une petite dame prenant le frais sur sa terrasse nous explique que son propriétaire la acquise à Washington DC et l’utilisait jusqu’à récemment comme taxi. 

Navigation dans les ICW
Nous avons pris suffisamment d’avance sur la flottille pour nous permettre une intrusion et une bonne semaine de balade dans les ICW. Cette nouvelle expérience nous ravit. Nous naviguons dans des canaux bordés de coquettes maisons pratiquement toutes dotées de pontons pour amarrer des yachts à moteur. Les voiliers y sont rares, le peu de fond n’est guère adapté à la circulation de bateaux à voiles au tirant d’eau conséquent et l’étroitesse des canaux offre peu de possibilités pour hisser la toile.
ICW
Ailleurs les habitations sont plus dispersées et font place à des forêts. C’est le paradis des oiseaux et des cervidés. Au faîte de la plupart des balises délimitant les chenaux, les balbuzards ont installé leur nid. Des têtes et des becs dépassent des branchages et de l’herbe sèche de leur « maisonnette ». Au cœur de la voie navigable ces rapaces observent sans inquiétude le manège des yachts et voiliers.

La navigation dans les canaux exige une veille attentive et le respect de règles de courtoisie ; dépassants et dépassés ralentissent, les premiers pour réduire les remous importants engendrés par leur vitesse et les seconds pour céder le passage.

Les paysages bucoliques reposent et apaisent. Ici l’homme a la sagesse de respecter la nature qui a encore son mot à dire et sait séduire ses visiteurs.

Passage d'écluse dans les ICW

Les ICW empruntés débouchent sur Norfolk, à l’esthétique beaucoup mois flatteuse. Nous jetons l’ancre un après-midi pour des travaux de maintenance et poursuivons notre route en direction de la Chesapeake. Nous retrouverons Norfolk plus tard avec nos camarades du club.



Jamestown s’impose comme un arrêt culturel évident. Fondée le 14 mai 1607 sur une île de la rive gauche de la James River, Jamestown est le berceau des Etats-Unis. Ce village de Virginie est le site de la première colonie britannique permanente sur le continent américain. Les Américains, très attachés à leur histoire, entretiennent la mémoire de leurs origines. La « Virginia Company » envoya à des fins commerciales une flotte de trois voiliers pour coloniser la Virginie. Le capitaine John Smith débarqua sur cette terre en avril 1607. Lors de son exploration de la Chickahominy River en décembre de la même année, il fut capturé par la tribu de l’amérindien Powhatan, chef suprême de la région. Il n’aurait(2) eu la vie sauve que grâce à l’intervention de Pocahontas, fille de Powhatan. Un Walt Disney, version édulcorée des premiers pas des Britanniques en Amérique,  est sorti au cinéma en 1995 pour le plus grand plaisir des enfants.     

Philéas à Jamestown monument
Sur le site de Jamestown se dresse un grand monument qui ressemble au Washington monument érigé dans la capitale américaine. Fait de granit du New Hampshire il a été construit en 1907 pour célébrer le tricentenaire de la fondation du pays. Des statues de John Smith, de Pocahontas, une croix en bois dédiée aux premiers pionniers et un petit obélisque commémorant la première démocratie représentative sont édifiés sur le site original où des oies bien dodues et des biches curieuses ont élu domicile.

Musée de Jamestown
A quelques kilomètres au nord un musée et un  parc historique en plein air font revivre en détail aux visiteurs l’histoire de la naissance des Etats-Unis. Des animateurs en costume d’époque reproduisent les scènes de la vie quotidienne des colons.
La réplique des trois voiliers qui transportaient en 1607 les envoyés de la Virginia Colony à Jamestown –le Godspeed, le Susan Constant et le Discovery- attire de nombreux touristes, friands d’explications. 

A l’issue de cette visite fort intéressante, il est temps de rejoindre Norfolk pour notre second rassemblement américain de la flottille MédHermione.

Située sur la côte Atlantique à l’entrée de la baie de la Chesapeake, à l’ouest de l’embouchure de la James River, Norfolk est traversée par des cours d’eau formant les trois branches de l’Elizabeth River dont la Lafayette River. Avec la hausse du niveau de la mer et l’enfoncement progressif des terres, Norfolk est de plus en plus fréquemment sujette aux inondations. Si la hausse se poursuit, le maire envisage l’abandon de certaines parties de la ville. Ville autonome de Virginie, elle abrite une des principales bases navales de l’US Navy et est le siège du United States Joint Forces Command.

Notre présence à Norfolk est motivée  par  le jumelage depuis le 21 décembre 1988, de cette ville virginienne avec Toulon, notre port d’attache. Le 1er juin nous faisons notre entrée à Norfolk, les guidons MédHermione et Toulon Provence Méditerranée dans la mature et grand pavois hissé pour notre premier rendez-vous protocolaire.

Le luxueux yacht country club nous ouvre ses pontons et l’ensemble de ses infrastructures –piscines, sauna, hammam, salle de sport- à un tarif d’amis et nous convie à un barbecue décontracté, à l’américaine avec une touche française : vin blanc bien frais et rouge pour satisfaire nos palais. L’escale de la flottille fait la hune de la gazette mensuelle du Norfolk Yacht and Country Club : « The French are coming, the French are coming » ! Le bleu, le blanc et le rouge des pavillons français et américains se côtoient pendant 3 jours sous l’œil curieux de nos hôtes. Le ton est donné.

Pour sceller  l’amitié entre les communes Virginienne et Varoise, M. Paul  D. Fraim, maire de Norfolk reçoit l’ensemble des MédHermionistes dans la salle du conseil pour une cérémonie officielle : allocution de notre hôte suivie de celle l’amiral Hubert Pinon, président du club nautique de la marine à Toulon représentant de Hubert Falco, maire de Toulon. La présentation de notre rallye « sur les traces du marquis de Lafayette » suscite l’intérêt et l’enthousiasme de M. Fraim.

Avec une fierté non dissimulée la municipalité nous propose une visite du musée d’art Chrysler  abritant quelques petites merveilles, visite guidée, en français, par l’ex-présidente du comité de jumelage.
Le séjour de la flottille à Norfolk se clôture par une soirée conviviale organisée par l’Alliance Française sous l’impulsion de Nicolas Valcour, consul honoraire pour la France. Francophones, francophiles et MédHermionistes apprécient cet agréable moment d’échanges interculturels.

PHILEAS ACCUEILLE SA GRANDE SŒUR L’HERMIONE

Avec cette escale phare commence une nouvelle grande étape : la phase de commémoration. Nous faisons route vers Yorktown pour un rendez-vous unique avec notre compatriote tant attendue ici aux Etats-Unis : l’Hermione vous l’avez deviné !
Après deux années de préparation dans les bureaux toulonnais du Club nautique de la marine et de multiples contacts avec nos correspondants américains, nous sommes impatients de saluer la grande dame en terre américaine.
L'Hermione arrive !!!!!
Vendredi 5 juin vers 07h30 la silhouette de l’Hermione se dessine dans la brume grise qui enveloppe la baie de Chesapeake. Le voile se lève peu à peu, la frégate majestueuse captive tous les regards. Elle est là, elle arrive ! L’émotion est intense. Une foule de badauds et d’enthousiastes monopolise les quais pour assister au retour de l’Hermione –plus exactement sa réplique- 234 ans après la bataille décisive de Yorktown.



08h22, l’Hermione salue Yorktown, la Virginie, l’Amérique de 21 coups de canon. En écho les 21 coups de canons tirés par les régiments reconstitués pour l’occasion se font entendre à leur tour. L’équipage entonne des chants de marins, la frégate accoste sous le regard d’une foule émue. Yorktown se prépare pour trois jours de festivités.

Ancien et moderne, petit et grand......
Le double défi est gagné : l’Hermione après 44 jours de mer honore son rendez-vous avec l’histoire, et Philéas après 9  mois de navigation et quelques 9200 miles au loch a le privilège d’accueillir sa grande sœur pour un  moment unique et historique. Cet évènement  attendu depuis une quinzaine d’années est célébré par une cérémonie officielle présidée par Thomas Shepperd, président du York County Board of Supervisors. A la tribune se succèdent MM Mc Auliff, gouverneur de Virginie, Miles Young président de l’association « Friends of Hermione », Mme Ségolène Royal notre ministre de l’Ecologie et Présidente du conseil régional de Poitou-Charentes et bien sûr Yann Cariou, commandant de l’Hermione.



Rochefort et la région Poitou Charentes  se mettent à l’heure américaine pour promouvoir la Charente Maritime et attirer le visiteur d’outre-atlantique : « Well being and serenity, the French touch », of course ! 


Mais l’aventure ne s’arrête pas à Yorktown, nous sommes fiers d’escorter l’Hermione pendant sa croisière historique le long de la côte Est des Etats-Unis jusqu’à St Pierre et Miquelon en passant par Lunenburg au Canada. Un pèlerinage d’histoire d’un mois et demi qui promet d’être intense et riche en émotions.
That’s a long way monsieur le marquis, but yes we can (do it) !



UN PEU D’HISTOIRE


MARQUIS GILBERT MOTIER DE LA FAYETTE

La Fayette(3)  rencontre Georges Washington le 1er août 1777. Il est affecté à son Etat-Major comme aide de camp avec le titre de major général. Sa motivation, son désintéressement et sa constante présence à la tête du régiment de Virginie le font adopter par les chefs de la révolution américaine. Une alliance officielle est instaurée entre la France et le nouveau pays le 6 février 1778.
La Fayette rentre en France en février 1779 et s’emploie habilement à rendre populaire la cause des Insurgents  auprès de l’opinion publique française. Il retourne aux Etats-Unis en 1780 à bord de l’Hermione, reçoit le commandement des troupes de Virginie et est acteur de la bataille de Yorktown.
Le marquis de La Fayette a joué un rôle décisif aux côtés des Américains ans leur guerre d’Indépendance contre le pouvoir colonial britannique. Sa participation lui a valu une immense célébrité outre-atlantique et une place symbolique pour avoir été le trait d’union entre Américains et Français, lui valant le surnom de « Héros des deux mondes »  


LA BATAILLE DE YORKTOWN

Du 28 septembre au 19 octobre 1781, Yorktown assiégée depuis plusieurs semaines,  est  le théâtre de la bataille  qui confronte d’un coté 7500 britanniques conduit par Lord Charles Cornwallis et de l’autre 8845 insurgés américains, les volontaires de La Fayette menés par le colonel Armand, marquis de la Roüerie et Georges Washington ainsi que 6 000 hommes du corps expéditionnaire français de Rochambeau. La flotte française commandée par l’amiral de Grasse assure le blocus du port de Yorktown, empêchant tout ravitaillement aux Britanniques par la mer (bataille de la baie de la Chesapeake) tandis que les troupes terrestres franco-américaines encerclent la ville. Après avoir pris les redoutes et bastions qui devaient défendre la ville, l’armée franco-américaine assiège Yorktown. Lord Cornwallis se rend après 21 jours de combat. 

La venue de la frégate Hermione est l’occasion pour Yorktown et les Virginiens d’exprimer leur reconnaissance à l’Hermione, à son équipage, à la flottille MédHermione et aux représentants français du général La Fayette. 

A bientôt

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 (1)Intra Coastal Waterway : réseau de canaux et de voies d’eau navigables de 4800 km situé le long du littoral oriental américain. Les ICW s’étendent de la Floride à Norfolk. Certaines sections sont des baies, des rivières et des détroits naturels, d’autres ont été aménagées par l’homme.
(2)  « aurait » : les historiens émettent des doutes sur la véracité de ce fait. Ils admettent néanmoins  que Pocahontas l’aurait libéré.
(3) Aux curieux et amateurs d’histoire, je conseille la lecture de l’ouvrage de Gonzague Saint Bris « LA FAYETTE »      Edité en livre de poche.