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vendredi 1 mai 2015

CUBA : BEAUTE SAUVAGE

2ème épisode du séjour de Philéas

La particularité de cayo Guano del Este, son phare vraiment atypique, a attiré notre curiosité et motivé notre escale. Il ressemble à une fusée prête à décoller. Les gardiens exilés pour trente jours sur cette île déserte sont ravis de voir des navigateurs débarquer et rompre la monotonie quotidienne de leur séjour. Ils nous invitent avec plaisir à pratiquer un peu d’exercice. Nous gravissons les 234 marches, l’escalier en colimaçon n’en finit pas de tourner encore et encore.


Au sommet notre récompense nous attend, nous avons attrapé le pompon…une superbe vue plongeante sur la mer et sur Philéas, reposant 45 mètres plus bas, bien petit sur cette immensité bleue. Notre guide nous explique que l’ancien phare a été détruit par un cyclone entraînant des morts parmi les gardiens. Reconstruit en 1972 avec l’aide des russes, ce puissant phare a pris la relève. Des pêcheurs viennent jeter leur ancre de temps à autre aux abords de l’île. L’accostage n’y est pas possible et le débarquement peu aisé. La côte déchiquetée au corail  agressif dissuade toute tentative d’approche. Il est plus sage de débarquer en annexe au nord, sur la plage et de rejoindre le phare par la terre. Pour changer des langoustes nous achetons du poisson aux gardiens, un beau pargo à chair bien goûteuse qui fera ce soir le bonheur de l’équipage.


Nous partageons ce mouillage avec nos amis MédHermionistes d’Eraünsia et nous retrouvons autour d’un ti-punch siroté dans le cockpit de Philéas en contemplant le soleil déclinant en douceur. Après une paisible nuit de sommeil et un dernier regard sur ce phare insolite nous appareillons pour rejoindre cayo Largo del Sur où la flottille a choisi de se rassembler.


Cette île s’est tournée exclusivement vers le tourisme dès le début des années 1980, les Cubains en revanche ne s’y sont jamais vraiment installés. En 2001 l’ouragan Michelle de catégorie 4 causa une onde de tempête qui inonda totalement cayo Largo. Quatre complexes hôteliers haut de gamme ont repris possession de l’île. Des tours opérateurs canadiens et italiens proposent à leur clientèle des formules vacances tout compris.

Nous nous installons dans un premier temps à l’extérieur du chenal d’accès au milieu d’îlots au sable blanc éclatant. Les fonds avoisinants les cayos sont peu profonds et obligent à rester à une distance respectable des plages. En fin de journée les catamarans promenant les touristes de cayo en cayo désertent le plan d’eau et nous partageons l’exclusivité du site avec une poignée de plaisanciers.  

cayo Largo del Sur
Le lendemain nous rejoignons nos amis à la marina en empruntant le long chenal bien balisé bordé de cayos et de mangrove. Les couleurs rivalisent pour charmer le navigateur qui s’y engage : bleu turquoise, vert émeraude de la mer, vert tendre de la mangrove, couleurs   mises en exergue par une luminosité exceptionnelle. Epoustouflant tableau ! Christian est cependant bien trop concentré sur sa route pour profiter du spectacle. Des aigrettes élisent domicile dans la mangrove et rajoutent une touche de fraîcheur à ce paysage empreint de sérénité.  La marina elle-même est un havre de tranquillité, un lieu de détente. Comme sur chaque îlot cubain habité, les garde-côtes montent à bord, font leurs pages d’écriture à notre arrivée et ne nous restituent notre despacho(1) qu’au moment du départ, moyen le plus sûr de surveiller nos déplacements.

Cayo Cantiles
A cayo Cantiles notre escale suivante, aucun garde-côtes n’est affecté à la surveillance des eaux cubaines en revanche des gardiens de …l’île relevés là-aussi tous les trente jours y sont chargés de la protection du site. Leurs installations sont rudimentaires mais ils s’en contentent. Cinq voiliers du groupe MédHermione optent pour ce mouillage forain. C’est la surfréquentation ! Un sixième voilier, « Rio Bravo », y a jeté l’ancre. Serait-ce un RM 1270 ? Oui et non ; Le propriétaire a acheté la coque nue chez Fora Marine mais les aménagements intérieur et extérieur et le plan de voilure ont été effectués par des équipementiers différents.

A notre demande, les gardiens nous autorisent à organiser un barbecue sur la plage sous l’œil vigilent de l’un d’eux. Chaque équipage apporte ses langoustes à griller sur la plage, Aldébaran y adjoint un beau thazard pêché dans l’après-midi et tous se rassemblent autour d’un joyeux feu de camp. La soirée se termine en chansons dans une ambiance festive.
Point d’appareillage matinal le lendemain, nous espérons une livraison de langoustes par les pêcheurs…en vain. Nous relevons l’ancre en milieu de matinée.
Langouste
Le soleil est encore haut dans le ciel lorsque nous atteignons cayo Matias. L’accès y est délimité par une passe naturelle non balisée. Les lames déferlent sur la barrière de corail scindée en deux parties. Au centre la nature a prévu un passage unique à l’intention des navigateurs peu frileux. Au poste d’observation à l’étrave, juchée sur le balcon, je scrute les fonds pour détecter des récifs malicieux qui pourraient venir embrasser nos quilles. Les guides nautiques recensent des hauteurs d’eau de 2,5 mètres minimum alors que le sondeur indique par endroits 2 mètres, 1,80 mètre. Nous rebroussons chemin à deux ou trois reprises. Les données ne s’avèrent pas fiables. La tension est palpable à bord et finalement nous restons prudents et  jetons l’ancre non loin de la passe. Le mouillage dégage une atmosphère insolite de bout du monde. Philéas donne l’impression d’être immobilisé en pleine mer. A la tombée de la nuit le bruit des brisants déferlant sur les récifs est amplifié, un mince croissant de lune illumine à peine la surface de l’eau. Le lendemain au lever du jour, Christian, à notre étonnement, sonne le branle-bas, nous appareillons. Le skipper a mal dormi, des nuages menaçants ont entaché sa sérénité nocturne. Nous louvoyons en direction de la porte de sortie lorsque… Philéas s’immobilise sur un banc de sable. Il s’en suit un grand moment de solitude, pas de marée pour nous offrir un ou deux centimètres sous les quilles et pas âme qui vive aux alentours. Finalement VOLVO PENTA(2), notre précieux allié, réussit à forcer le passage sur ce fond mouvant. Les quilles tracent leur chemin, quelques petits bonds et ouf… Philéas est libéré, sans dommage. Le dessous des quilles aura été nettoyé des algues et coquillages épiphytes !      

Hirondelles de mer
Travers au vent de Sud-Sud-Est de force 5, Philéas respire. Il nous emmène à l’Isla de la Juventud(3), nous les heureux retraités. Imposante virgule de terre au sud-ouest de Cuba l’île classée parc national maritime, séduit les amateurs de plongée attirés par les jardins coralliens et les grottes sous-marines. Nous jetons notre dévolu sur Puerto Francès bordé d’une plage interminable. Nous croisons DIADEM, voilier de la flottille, il appareille pour une navigation de nuit et nous laisse l’exclusivité du mouillage. Là encore le côté sauvage du site et l’eau limpide sont époustouflants. Les îles cubaines regorgent de petits paradis accessibles aux seuls navigateurs. Le lendemain matin à l’aube, des hirondelles de mer nous rendent visite en toute discrétion. Posées en file indienne sur la filière elles procèdent à leur toilette quotidienne. La nature me fait un appel du pied et m’invite à découvrir ses merveilles discrètes. Je débarque à terre, seule, en annexe, et me laisse guider par ma curiosité ; Christian et Alain ne se sentant pas des âmes d’explorateurs restent à bord. Sable et coraux tapissent les fonds. Le courant entraîne en bordure de plage de nombreux poissons qui évoluent dans dix à quinze centimètres d’eau.
carrelet
Un carrelet paon reconnaissable à ses nombreuses rosettes bleues circulaires et à sa longue nageoire pectorale, affolé par ma présence, s’échappe tandis qu’un poisson bourse s’immobilise espérant passer inaperçu. Et surprise, une langouste attire mon regard. J’hésite, elle améliorerait bien l’ordinaire mais je n’ai pas de gants. Le crustacé lève ses antennes, je les saisis d’une poigne mal assurée. Un coup de queue nerveux et il s’enfuie à toute vitesse. La prochaine fois je ne prendrai pas de gants mais j’en mettrai…. Ici et là sur la rive, des branches de gorgone gisent sur le sable. Ces éventails de mer, plats et réticulés ont conservé leur couleur pourpre. Plus loin d’imposantes étoiles de mer d’un orange soutenu, coussins de mer à cinq doigts épais et trapus terminés en pointe n’ont pas quitté leur milieu naturel. Je ne me lasse pas de cette ballade dans cet aquarium géant.

La mer véhicule des objets disparates étrangers à la nature et le courant se charge de les déposer sur le rivage : une tongue, une chaussure en caoutchouc, des morceaux de plastique etc… Un immense filet s’est échoué sur la plage, ses longues mailles orange telles des tentacules   emprisonnent la végétation basse.
Je rebrousse chemin et tente une incursion dans l’île à la recherche d’oiseaux endémiques. Tiens l’homme est passé par là ! Un sentier relativement large a été tracé entre les arbres. Il doit probablement relier la plage au club de plongée situé à cinq kilomètres. Je m’y engage. Les moustiques m’agressent sans vergogne, les oiseaux hyperactifs ne tiennent pas en place, il est difficile de les approcher. Puis un bruit de sabots vient rompre le silence ; bouche bée, je vois passer devant moi un …cervidé. Interloquée, je m’exclame : « Cà alors ! » C’était bien le dernier animal que je pensais rencontrer ici. L’heure tourne, il me faut rentrer à bord. Une mouette à tête noire d’Amérique s’envole à proximité du dinghy. Après cette excursion fort agréable,  un petit bain rafraichissant est le bienvenu, les températures de l’air et de l’eau voisinent respectivement les 34° et les 30°.

Nous naviguons de cayo en cayo soit en journée lorsque la distance à couvrir n’excède pas les cinquante nautiques, soit de nuit si le trajet avoisine les quatre-vingt nautiques. Cuba,  7ème île du monde par ses dimensions, et la plus grande des Antilles, regroupe environ 1600 îles et cayos, 3715 km2. Un mois à vagabonder dans cette immensité laisse un sentiment de découvertes inachevées et appelle à un séjour bien plus long, sans impératif de rendez-vous. Chaque îlot est un émerveillement. La beauté sauvage des paysages et de la flore nous laisse sans voix. La main de l’homme ne s’est pas encore abattue sur ces trésors naturels. Nous avons un aperçu de ce que furent jadis les Antilles, et de toutes ces îles encore peu fréquentées et louées par les premiers navigateurs aventuriers. Les Jardins de la Reine attirent sporadiquement quelques voiliers mais plus nous remontons vers le nord plus les rencontres sont rares. Quel privilège de disposer de l’exclusivité des mouillages. Nous en usons sans modération et sans nous lasser. La côte d’Azur, noire de plaisanciers en juillet-août ne nous déroulera jamais un tel tapis rouge. Jamais nous ne ressentons de monotonie, la mer est un théâtre bien vivant pour le navigateur réceptif à son environnement.
Un jour, à l’heure où le soleil décline, un passager tente une approche clandestine. La houle balance la piste d’atterrissage et rend l’opération mal aisée. L’hirondelle de mer survole Philéas à moult reprises, virevolte, s’éloigne, revient. Les barres de flèche sont trop larges pour s’y agripper, la grand-voile n’offre aucun rebord. Nous observons son manège sans bruit et surtout sans bouger. Elle passe au-dessus de nos têtes puis finalement parvient à se poser sur le banc à côté de mon pied. Je retiens mon souffle pour ne pas l’effrayer. Son équilibre est précaire. En sautillant, elle se rapproche en se plaquant au sol. Elle semble épuisée. Ses petits battements d’aile tendent à contrebalancer la gite de Philéas mais décidemment la situation est trop inconfortable, elle reprend son envol.
Des dauphins viennent souvent nous rendre visite et flirter avec l’étrave de Philéas. Tels des enfants nous nous installons aux premières loges et observons leurs ballets et leurs jeux. Ils chevauchent les vagues et nous jettent de petits coups d’œil malicieux. A quelle famille appartiennent-ils ? Les livres sont alors de sortie et nous donnent des indices. Ceux régulièrement  rencontrés à Cuba sont des dauphins tachetés pantropicaux identifiables à leur dos moucheté, leur long rostre, blanc à l’extrémité.       
Un autre jour, à la fin du déjeuner pris dans le cockpit, mon attention est retenue par une masse dans le sillage de Philéas. Corps fuselé et ailerons  bleus fluorescents d’apparence, nous reconnaissons  un requin sans en distinguer l’espèce. Il semble particulièrement intéressé par l’hélice de notre hydro-générateur. Christian s’empresse de relever le watt & sea avant qu’une pale ne se fasse croquer…

Nous rejoignons Maria La Gorda à l’issue d’une navigation nocturne. L’intérêt de cette escale est relatif. Un hôtel, le plus reculé de l’île, jouxte une plage bordée de palmiers. Il est fréquenté par des amateurs de plongée. Nous en profitons pour faire recharger notre bouteille et prendre un peu de repos avant de poursuivre vers le cap San Antonio.

restaurant particulier
La côte nord est manifestement plus surveillée que celle du sud. A l’approche du cap San Antonio, le sémaphore prend un contact radio et nous soumet à un interrogatoire en règle : provenance, destination, nombre de personnes à bord, nationalité, etc… Peu avant 19h00 un garde-côtes de Punta Morros de Piedra, sans doute informé de notre arrivée, nous attend avec impatience sur le quai et suit avec attention notre manœuvre de mouillage. L’annexe est gonflée à la hâte et nous débarquons pour accomplir les formalités d’usage. Hormis les îlots inhabités, un  ou plusieurs garde-côtes sont affectés à la surveillance des tous les abords de Cuba. En général ils se déplacent à bord pour enregistrer notre présence et vérifier l’identité de l’équipage. C’est la première fois qu’aucune autorité n’embarque à bord. Depuis peu une marina est implantée à Punta Morros.  A vrai dire il s’agit de l’aménagement d’un unique quai en béton existant en postes d’amarrage protégés par de grossières défenses en caoutchouc noir. A l’heure actuelle la marina est en mesure d’accueillir quatre ou cinq voiliers.

Marina Punta Morros de Piedra
Un bâtiment d’apparence récente abrite les sanitaires, le bureau des garde-côtes et de l’infirmier. A proximité un bar-salle de restaurant et un petit magasin font la fierté du gérant. Nous sommes les seuls clients et le maître du port est au petit soin pour nous rendre le séjour agréable. C’est bien la première fois que nous disposons d’une marina uniquement pour nous ! Le lendemain le cuisinier est tout heureux de nous préparer un déjeuner. La qualité du service nous surprend ; la présentation des plats est recherchée, le service lui-même est soigné. De toute  évidence le cuisinier-serveur y met du cœur pour nous satisfaire.

Jusqu’à présent la plupart de nos interlocuteurs ne pratiquait que la langue de Cervantès. A Punta Morros de Piedra le personnel possède quelques notions d’anglais qu’il met à profit pour engager la discussion. L’apprentissage de l’anglais en milieu scolaire serait-il en passe de supplanter l’étude du russe ?

Le lendemain à 16h00 nous appareillons pour La Havane, notre dernière escale cubaine et laissons nos hôtes à leur solitude et à leur routine.






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(1) despacho : permis de navigation
(2) VOLVO PENTA : marque de notre moteur.
(3) Isla de la Juventud : ile de la jeunesse.




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