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mercredi 15 avril 2015

COUP DE CŒUR POUR CUBA

1ère épisode

Au terme de 160 nautiques Philéas aborde les eaux cubaines. Nous évitons de faire escale à Santiago, la marina jouxte une cimenterie et les jours venteux des dépôts viennent s’incruster sur le pont des bateaux entraînant des tâches pratiquement indélébiles. Pour notre premier rendez-vous cubain nous optons pour un lieu de choix : l’archipel des Jardins de la Reine situé à 80 km au sud de la province de Ciego de Avila dans la mer des Caraïbes. Sur 120 km s’étire une longue chaîne de mangrove et d’îles coralliennes, un parc maritime de 3800 km2 le plus souvent vierge d’habitants. La flore associe palmiers, pins et mangrove et la faune est  représentée par une intéressante diversité d’oiseaux : balbuzards pêcheurs, pélicans, bécasseaux, spatules et aigrettes. L’eau à la pureté inégalée recèle des récifs coralliens tout simplement splendides. L’accès aux Jardins de la Reine n’est pas aisé pour les voyageurs terrestres, nous sommes conscients d’être privilégiés. Nous jetons notre dévolu sur Cayo Anclitas et notre ancre en bordure de l’immense plage déserte. L’eau cristalline dévoile des fonds de sable et de coraux et appelle à la baignade. Nous sommes seuls dans cet univers où la nature a conservé tous ses droits. En milieu d’après-midi un mât pointe sa girouette à l’horizon, Aldébaran, de la flottille MédHermione nous rejoint. En annexe nous débarquons tous ensemble sur ce petit coin de paradis. A l’issue d’une longue séance de rafraîchissement, dans une eau avoisinant les 30°, nous arpentons la plage, avides de découvrir les secrets de cet îlot. Ici et là des conches, et de nombreux coquillages tapissent le sable, des crabes affolés s’enfuient à notre approche, une raie s’enfouie dans le fond sablonneux. Nous distinguons sur le sol de larges traces d’animaux que nous pensons être des empreintes d’iguanes. Nous apprendrons plus tard que des caïmans habitent l’île…

Nous tentons une approche à l’intérieur de cayo Anclitas mais la végétation est trop touffue pour y permettre une incursion. A la pointe nord l’île s’incurve et fait place à la mangrove. La faune et la flore changent d’aspect. Les oiseaux y abondent. Des balbuzards pêcheurs colonisent le sommet d’arbres que je ne sais identifier. Une raie prend un bain de soleil dans quelques centimètres d’eau. Impossible de s’aventurer davantage à pied nous rebroussons chemin et croisons des pluviers trottinant sur la plage.
premiè
De retour à bord nous avons la visite d’une embarcation avec trois cubains. Ils attendent muets à la poupe de Philéas. J’engage la discussion dans un espagnol encore hésitant. Nos visiteurs travaillent dans l’unique hôtel situé dans la mangrove de l’autre côté de cayo Anclitas. Ils viennent nous proposer des langoustes et prennent les commandes. Deux bonnes heures plus tard ils sont de retour et nous procédons au troc langoustes contre bières, et articles de première nécessité rares à Cuba : savons, rasoirs, crayons, cahiers, stylos, etc… Le soir même, installés dans le cockpit de Philéas, nous dégustons nos premières langoustes cubaines, face à un décor que les plus grands restaurants auraient bien du mal à égaler. Notre séjour se présente sous de bons auspices.

Nous appareillons le lendemain dès 8 heures pour couvrir les 70 nautiques qui nous séparent de Cienfuegos.

Cité maritime par excellence Cienfuegos s’élève autour de la plus grande baie naturelle du pays –88 km2-. Dans les années 1940, Benny Morré, musicien afro-cubain, dans sa chanson Cienfuegos, honore sa ville natale par « la ciutad que más me gusta a mi». (1) Je retrouve cette parole inscrite en lettre imposante sur un grand panneau planté à une extrémité du malecón, belle promenade bordant la baie.

L’une des cités les plus récentes de Cuba mais également l’une des plus homogènes du point de vue architectural, Cienfuegos est inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2005.  La ville est divisée en deux parties distinctes : le centre, agrémenté de colonnades, qui abrite le Prado et le Parque Marti et Punta Gorda, une bande de terre qui s’avance dans la baie et renferme un ensemble de palais éclectiques du début du XX° siècle, certains comptant parmi les plus jolis bâtiments de l’île.

Cienfuegos fut fondée en 1819 par un Français, Louis de Clouet. Dans le cadre d’un projet visant à augmenter la population blanche de l’île, Louis de Clouet invita quarante familles de la Nouvelle Orléans, de Philadelphie et de Bordeaux à venir s’installer dans cette nouvelle ville, alors appelée San Fernandina de Jagua. La colonie fut détruite par un ouragan en 1821. Les colons reconstruisirent leurs foyers et peut-être par superstition décidèrent de rebaptiser la ville de son nom actuel, celui du gouverneur cubain de l’époque, José Cienfuegos.    

L’arrivée du chemin de fer en 1850 puis le déplacement à l’ouest de l’industrie sucrière à la suite de la première guerre d’Indépendance (1868-1878) favorisèrent l’éclosion de grandes fortunes dans la ville. Les riches négociants de Cienfuegos pour asseoir leur position sociale firent construire de somptueux édifices.


Le 9 avril Philéas s’engage dans un chenal interminable mais bien balisé, débouchant dans la grande baie de Cienfuegos. Il chemine entre des falaises, l’hôtel moderne Pascaballos à l’architecture peu esthétique et le Castillo espagnol construit en 1745 pour protéger les navires espagnols des pirates et des corsaires. A proximité du château se dressent des maisons marquées par le temps, des barcasses assurent le transport des habitants d’une rive à l’autre. Sur un imposant panneau placé à l’entrée du couloir d’accès,  l’inscription « Bienvenido Socialista » donne le ton.

De nombreux pêcheurs, le visage dissimulé sous leur chapeau, et installés sur des barques mouillées en file indienne semblent surveiller nos faits et gestes. Certains répondent à nos salutations d’un geste de la main.

 A peine atteignons-nous la baie que nous sommes invités à nous présenter au quai de passage pour y effectuer la longue série de formalités. Marlène du service Phytosanitaire ouvre le bal. Le stock de nos provisions est passé au peigne fin. Curieuse et intéressée elle nous questionne sur le contenu de certaines boites de conserve qu’elle regarde avec convoitise. En échange d’un sourire nous lui cédons quelques denrées (pâté, corned beef, tomate concentrée) qu’elle s’empresse de ranger dans son grand… sac à mains. Au cours de nos échanges elle nous conseille le restaurant de sa meilleure amie et nous en vante le menu. Trois jours plus tard nous croisons notre inspectrice sur le quai elle nous demande si nous avons honoré la table recommandée. Ses yeux s’illuminent lorsque nous confirmons qu’une dizaine de MédHermionistes s’y sont restaurés. Des dollars dans les pupilles, elle insiste « Avez-vous dit que vous veniez de ma part ? »  Aurait-elle droit à une petite gratification ? Amie ou jinetera ? (2). Le défilé à bord continue, l’adjoint de Marlène prend en charge la multitude d’imprimés à renseigner, puis un chien du service anti-drogue vient renifler le moindre recoin de Philéas sous la surveillance de son maître au visage fermé. Rien d’anormal à signaler. Ensuite vient le tour des garde-côtes. Ils s’installent confortablement dans le carré autour d’une bière, avec leurs gros croquenots noirs. J’intercepte une de leurs conversations en espagnol. Surpris et flattés par mon intérêt pour leur langue, ils engagent la discussion. Avant de quitter le bord, le chef s’approche de moi et sur le ton de la confidence sollicite ouvertement… du chocolat qu’il a dû voir dans notre réserve. Pour satisfaire tout ce petit monde, je fais cadeau à ces représentants de l’Etat de savons, rasoirs jetables, brosses à dents qu’ils se partagent avant de quitter le bord. Le plus jeune est tout fier de me montrer la photo de son fils. Je n’ai malheureusement rien à lui offrir si ce n’est un petit peigne.  

Nous sommes désormais autorisés à mettre pied à terre et invités à remplir un contrat de mouillage chez le maître de port. Son bureau est dénué de tout superflu : un bureau, deux chaises dont une pour le skipper et… une banquette qui a déjà bien vécu mais fait la fierté du maître des lieux. Un téléviseur à écran plat dénote dans cette pièce au mobilier vétuste. Les garde-côtes se satisfont d’un téléviseur plus ancien, probablement première génération !

Quant à notre « despacho »(3), autorisation de naviguer dans les eaux cubaines, il nous sera rendu à notre départ de Cienfuegos par les garde-côtes. Un visa nous est délivré pour une durée de 30 jours. Nous quittons le quai des douanes et mouillons à quelques centaines de mètres devant la marina. Les locaux de la marina sont vieillots et les infrastructures rudimentaires. La propreté des sanitaires laisse à désirer et l’eau ne parvient à la pomme des trois douches disponibles qu’avec parcimonie. Un bar, apparemment récent, offre aux plaisanciers des boissons fraîches tandis qu’un magasin sommairement achalandé propose surtout de l’eau, de la bière, un peu d’alcool, quelques rares boites de conserve et du café. Un service de laverie, bien pratique, centralise le linge pour un nettoyage en ville.

La marina est implantée à Punta Gorda, l’ancien quartier huppé de Cienfuegos avec ses maisons à bardeaux et ses palais à tourelles. De Philéas nous avons une vue directe sur le Palacio Azul surmonté d’une coupole et sur le Cienfuegos yacht club d’apparence très sélect. La ville distante de 3 km est accessible en empruntant le Malecón, promenade longeant le bord de la grande baie puis l’avenue Paseo del Prada, la plus longue artère de Cienfuegos. 

le malecon

Quantité d’édifices néoclassiques et des colonnes peintes dans des tons pastel, l’ensemble défraichi par le temps, bordent le boulevard.  Les installations électriques laissent perplexe. De surprenants mélis-mélos de fils s’enchevêtrent au sommet de poteaux avant d’aller alimenter les habitations en électricité. Visiblement les normes de sécurité sont inexistantes. Pour notre première sortie nous optons pour la marche à pied, propice à  l’observation de la vie quotidienne des Cienfuegueňos. 

anachronisme


Les routes de la ville sont de vrais musées en plein air. Des véhicules des marques américaines et soviétiques datant des années 1950 et dignes de pièces de collection y circulent en nombre. Il est difficile voire impossible de trouver des pièces détachées mais les Cubains ont une grande expérience dans la réparation de fortune et ils sont capables de miracles. J’évolue en plein anachronisme sans passer par une machine à remonter le temps…

Des bicis-taxis, vélos à trois roues munis de deux sièges derrière le conducteur nous interpellent et nous proposent leur service. Les calèches quant à elles n’empruntent que les rues secondaires, le plus souvent défoncées ; elles attendent le client à proximité de la zone piétonne ou des monuments historiques. Nous flânons à l’envi dans Cienfuegos en toute sérénité, Cuba à la réputation d’un pays où l’insécurité n’a pas cours. Quel contraste avec la Jamaïque !

Arc de triomphe
Le parc José Marti constitue le cœur du quartier historique. A son extrémité ouest un arc de triomphe commémore l’Indépendance cubaine. Un porche doré conduit à une statue en marbre de José Marti, homme politique et philosophe. Des édifices majestueux tous restaurés grâce aux fonds de l’UNESCO ceinturent le place : cathédrale de la Purisima concepción de 1829, théâtre Tomas Terry de 1887, le collège San Lorenzo de 1920, le palais de Gobierno pour ne citer que ceux-là. L’ancienne résidence de Louis Clouet, fondateur de la ville, transformée en boutiques de souvenirs y est le plus vieil édifice.

A proximité du parc une rue piétonne jalonnée de boutiques héberge un magasin d’alimentation d’Etat. Les Cienfuegueňos y font la queue à l’intérieur pour s’y procurer viande, farine et épicerie en fonction des arrivages. Dans les diverses échoppes rencontrées nous trouverons toujours à peu près les mêmes produits, le choix est limité. Cuba n’est pas l’endroit idéal pour parfaire l’approvisionnement du bord. En revanche le marché offre une grande diversité de fruits, de légumes et même de viande, principalement du porc et du poulet. Tous les morceaux sont proposés. La veille nous avons assisté au débarquement d’un camion de têtes de porc destinées à la vente. A l’entrée du marché des rabatteurs proposent des œufs par plaque de 30. Le prix annoncé en pesos convertibles(4) est  exorbitant.  Après négociation il est divisé par quatre. Ce marché parallèle très lucratif permet néanmoins de se procurer des produits difficilement trouvables. Nous partageons les œufs avec un autre voilier de la flottille. Dans une rue parallèle à la zone piétonne j’ai repéré une boulangerie. Là aussi il s’agit d’arriver au bon moment. Aux heures de fin de cuisson du pain elle est prise d’assaut et les clients trop tardifs n’ont aucune chance de s’en procurer. Ce fut notre cas la veille. Je m’enquiers donc de l’heure de disponibilité de la fournée en cours et me présente dix minutes avant pour grossir la queue d’attente déjà constituée sur le trottoir. 


 Pour des raisons pratiques Trinidad, à la réputation de cité coloniale la mieux conservée de Cuba, ne s’inscrit pas dans le programme de nos escales maritimes. Nous n’abandonnons pas, cependant, l’idée de nous y rendre par la terre. Renseignements pris auprès de l’agence d’Etat Cubatours, nous convenons d’une location de voiture avec chauffeur. A l’ouverture du bureau nous sommes devant la porte et patientons dix minutes, un quart d’heure, une demi-heure, personne… Un rabatteur nous propose un taxi que nous finissons par accepter après avoir négocié le prix au même tarif que celui pratiqué par l’agence et nous voici partis pour une heure et demi de route dans un véhicule affichant un nombre impressionnant de kilomètres au compteur, aux sièges défoncés et sans poignée à l’arrière pour ouvrir les vitres mais… il roule ! Notre trajet à l’intérieur du pays nous dévoile des paysages tantôt montagneux, tantôt des vergers. D’immenses plantations de manguiers bordent la route, je n’en ai jamais vu autant à la fois. Des crabes de terre prennent possession de la chaussée sporadiquement. A la nuit tombée leur nombre croît, ils s’affolent et il n’est pas rare qu’ils finissent écrasés. Notre chauffeur n’est ni très bavard ni très souriant, dans un souci d’économie de carburant il débraye systématiquement dans les descentes. Il nous laisse au centre de Trinidad et nous convenons d’une heure de rendez-vous pour le retour.

Au début du XIXème siècle Trinidad devint la capitale du Departamento Central. Des centaines d’exilés français s’y installèrent fuyant une rébellion d’esclaves à Haïti et mirent sur pied cinquante petites sucreries dans la proche vallée de los Ingenios au nord-est de la ville. Le sucre supplanta le cuir et le bœuf salé. Au milieu du XIXème siècle la région produisait un tiers du sucre du pays. Le décor architectural de la ville témoigne de l’opulence de cette période. 



Les guerres d’Indépendance sonnèrent le glas de cet âge d’or. Les plantations de canne à sucre furent dévastées par les combats. L’industrie ne s’en releva jamais.   


Sa renaissance Trinidad la doit au tourisme lorsqu’une loi pour la protection de la ville historique fut promulguée. Classée monument nationale en 1965 elle est inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1988. Depuis elle attire un flot continu de visiteurs étrangers. Les rues pavées, les demeures d’époque, les églises imposantes et les cours fraîches distillent une atmosphère coloniale particulière. 


Toutes les rues de la ville mènent à la plaza Mayor, place entourée de quatre édifices imposants au cœur du centre historique. Elégante et distinguée avec ses tons pastel, elle concentre les plus belles demeures coloniales édifiées entre le XVIIIème siècle et le XIXème siècle par les grandes familles locales. Certaines sont transformées en galeries d’art ou en musées.

enchevêtrement de fils électriques

En dehors du centre historique et des endroits touristiques nous observons avec intérêt les scènes de la vie quotidienne. Le spectacle est dans la rue et ne cesse de nous surprendre à chaque instant ; des vendeurs d’aulx arpentant les rues, des cireurs de chaussures installés sur les trottoirs, des quartiers de viande suspendus en plein air chez le boucher du coin, des transports de charges lourdes par des ânes, des marchands ambulants de fruits et légumes,  des automobiles du début du XXème siècle faisant concurrence aux tricycles et aux calèches…





Les fils électriques sont, ici aussi, fixés de façon anarchique aux poteaux plantés le long des habitations. La ville semble être un chantier permanent ; des tas de gravats s’agglutinent ici et là sur le bas-côté des rues. Le dépaysement est total.








Au terme d’une journée de flâneries fort intéressantes nous quittons Trinidad avec des images insolites en mémoire.









Nous mettons à profit notre dernier jour d’escale à Cienfuegos pour nous approvisionner en produits frais et pour nous imprégner davantage encore de l’atmosphère si particulière de cette ville.






Nous appareillons pour Guano del Este le 15 avril dès la remise de notre despacho(1) par les garde-côtes. 
(suite de notre  séjour dans les épisodes 2 et 3  de la saga Philéas à Cuba)




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(1) la ville que je préfère
(2) Jinetera : rabatteuse.
(3) despacho : autorisation de naviguer dans les eaux cubaines
(4)  Deux monnaies circulent  à Cuba : le peso national (CUP) utilisé par les Cubains et le peso convertible (CUC) utilisé par les étrangers. Seuls les CUC peuvent être échangés contre une monnaie extra-nationale. Au marché   dans les magasins d’Etat et les boulangeries, seule la monnaie nationale a cours.   


vendredi 3 avril 2015

PHILEAS EN JAMAIQUE

Pas de grasse matinée pour l’équipage ce matin, le réveil est un peu difficile, une petite heure de sommeil aurait été appréciée. L’humidité de la nuit déposée sur le pont de Philéas n’a pas le temps de s’évaporer que déjà l’ancre est relevée. Nos voisins sont encore dans les bras de Morphée, Philéas glisse en silence vers la passe. Dans la baie Feret, la mer elle-même semble encore endormie : un vrai miroir. Seuls les pêcheurs sont déjà à l’ouvrage, nous les saluons au passage. Un dernier regard vers l’île à Vache qui s’éloigne doucement.

Aucune surprise, Éole souffle d’un secteur Est-Nord Est, sans conviction. Philéas revêt avec coquetterie sa robe légère bleue et blanche, le spi est hissé et se gonfle avec orgueil. Changement de tenue et de style pour la nuit, le génois tangonné prend le relais. Le ciel est dégagé. La constellation d’Orion veille au-dessus de Philéas. La lune prend son temps pour dévoiler son auréole lumineuse. Le sommeil, sournois, me guette, je lutte pour rester éveillée, je me débats, aucun feu de navigation à l’horizon qui pourrait fixer mon attention. Mes quatre heures de quart s’égrènent avec une lenteur inhabituelle… L’heure de la relève arrive enfin, le combat est terminé,  je plonge sans peine dans le pays des rêves.


Vers 13h00 la Jamaïque est à quelques encablures, nous franchissons le portail imaginaire et accostons à la marina de Port Antonio. Deux voiliers MédHermionistes et les autorités locales nous attendent : service phytosanitaire, douaniers, gardes-côtes défilent à bord. L’opération porte ouverte s’étale sur plusieurs heures. L’inspection de la cambuse ouvre le ban de cette grande revue administrative. Philéas et son équipage sont déclarés sains, nous pouvons mettre pied à terre, affaler notre pavillon de demande de libre pratique(1) et … saisir les stylos pour remplir les multiples formulaires réglementaires exigés par les différents services. Si les formalités monopolisent une bonne partie de l’après-midi, le skipper évite la contrainte de devoir se déplacer à l’autre bout de la ville. Tout s’effectue à bord, à la marina, les intervenants sont courtois et exécutent leur travail sans zèle excessif. Nous avons bien entendu pris soin de ranger soigneusement Philéas avant notre arrivée. Un intérieur présentable fait toujours meilleure impression qu’un bateau désordonné. 


Port Antonio est un port ravissant, lové dans un site calme et reposant. Harmonie, sérénité, langueur tropicale et parfum de colonialisme britannique, la marina possède un charme indicible, un peu hors du temps. La ville a conservé une architecture coloniale dont les plus beaux vestiges subsistent sur la colline de Tichfield jadis prisée pour sa vue plongeante sur la baie et pour sa fraicheur par les riches planteurs et négociants fortunés. 


Port Antonio

Au centre ville le contraste entre les restes de l’architecture géorgienne et les toits en zinc des bâtisses populaires est saisissant. Les rues grouillent d’une foule bruyante et indisciplinée. Assourdissante cacophonie de klaxons, d’éclats de voix, de musique disparate et déjantée à faire exploser les tympans, circulation anarchique –ici les conducteurs marseillais feraient figure d’enfants de cœur- envahissent continuellement les rues de Port Antonio et avec davantage d’intensité encore aux heures de pointe. Quel contraste avec la marina, véritable havre de paix où nous apprécions le silence après une journée dépaysante de vagabondage jamaïcain.


Kingston
Après une bonne nuit de repos, chaussés confortablement nous sommes prêts pour une rencontre avec la capitale. Kingston se situe à deux heures et demie de route de Port Antonio. Nous optons pour la formule immersion totale et empruntons les taxicos, bus locaux. Les passagers s’entassent au maximum sur les sièges et banquettes. Pas question de partir avec des places vacantes. Près de quarante personnes s’entassent dans le minibus prévu pour vingt-cinq. Formidable gestion de l’espace ! Serrés les uns contre les autres, les passagers coincés entre voisins de droite et de gauche, les sacs posés entre les jambes ou sur les genoux, ne peuvent espérer être mieux calés… Impossible de bouger sauf peut-être le petit orteil ! Mieux vaut ne pas être sujet aux crampes. Les strapontins défoncés menacent de s’écrouler. L’expérience n’est pas nouvelle pour nous, nous y avons goûté plusieurs fois dans les Antilles non françaises. En revanche pour Alain cette immersion est un baptême. Notre chauffeur emprunte la route côtière puis très vite pénètre à l’intérieur des terres. La route flirte progressivement avec la région des Blues Mountains plus arrosée encore que celles de la côte est. Plus de la moitié du pays dépasse 300 mètres d’altitude. De petites chaînes de montagnes s’étendent du nord au sud modulant le pays en une géographie tumultueuse. L’intérieur de l’île est sculpté par de profondes vallées à la végétation luxuriante et aux abondantes cultures de fruits tropicaux : papayes, fruits (de l’arbre) à pain, bananes, avocats, corossols, caramboles, anones… salade de fruits jolie jolie.

Notre parcours est ponctué de multiples arrêts dans les villages traversés. La plupart des passagers embarqués à Port Antonio se rend à Kingston. Les rares places se libérant sont immédiatement occupées. Le bus, déjà bondé, non seulement ne désemplit pas mais accueille des voyageurs contraints à rester debout derrière la porte en accordéon.

En fin de matinée nous atteignons Kingston. Construite dans la plaine fertile de Liguanea, la capitale, tumultueuse et très peuplée se déploie dans une vaste cuvette qui s’ouvre sur une large baie. Avant l’arrivée des premiers colons espagnols, la plaine de Kingston était peuplé d’iguanes d’où le nom de plaine Liguanea. Plus grande ville anglophone des Caraïbes, Kingston est dure et sans complaisance. Peu de choses subsistent de l’ancien passé colonial de la cité où se heurtent les genres (caraïbe, africain et américain). Avec ses 940 000 habitants qu’elle attire comme un aimant, l’agglomération concentre 25 % de la population jamaïcaine.

Kingston -downtown
Le nord ou uptown est notre premier contact avec Kingston, zone d’expansion de la ville rassemblant des quartiers résidentiels construits sur le modèle nord-américain. Maisons et condominiums au gazon impeccable et aux piscines rutilantes, d’allure insolente pour les ghettos, sont soigneusement protégés par de hautes grilles et souvent gardés. Une fois encore nous opérons une remontée dans le temps et retrouvons le même contexte qu’en Afrique du Sud.  Rien de nouveau sous le soleil des pays où cohabitent population aisée et pauvres « bougres ».
Galeries marchandes et centres commerciaux ultra-modernes et bien approvisionnés, boutiques de luxes fleurissent dans le new Kingston qui date tout de même de 1960 mais ne cesse de se moderniser.

A ce stade de notre trajet nous assistons médusés à une altercation fort animée –doux euphémisme-  entre notre chauffeur et les forces de l’ordre. Les policiers le saisissent violemment, l’extirpent de son siège et le poussent sans ménagement dans leur « panier à salade ». Les passagers protestent en paroles, j’entends ma voisine s’indigner : « ce n’est pas un animal ! » Son assistant en charge du paiement des billets tente de s’interposer et se retrouve à son tour « embarqué ». Nous nous retrouvons sans comprendre à 5 ou 6 km de notre destination, dans un bus immobilisé et entravant la circulation. Le conducteur d’un mini bus bloqué derrière nous prend les choses, enfin… le volant en mains, et gare notre transport en commun plus loin.
Nous restons indécis : Que faire ? Quel est donc le problème ? Ma voisine de devant m’explique enfin que notre chauffeur s’est arrêté sur un emplacement non autorisé. Réprimandé par un policier et pénalisé, il s’est emporté et a répliqué sans mesurer son langage. En Jamaïque les autorités ne font pas dans la dentelle, les contrevenants devraient le savoir.
Une demi-heure plus tard, finalement, notre chauffeur réapparaît quelques dollars jamaïcains en moins dans sa poche ! Nous poursuivons notre chemin vers le sud jusqu’au terminus, la basse ville.  Le changement de décor est poignant.

Kingstown - basse ville

Ancien centre ville historique, il a été réaménagé dans les années 1960 en zone de bureaux pour le transformer en quartier d’affaires et commercial. Cette rénovation a été remise en cause par la désertion progressive des entreprises et même par les bureaux du gouvernement qui lui préfèrent le cadre étincelant de New Kingston. Les bâtiments de la vieille ville, dont de nombreuses parties tombent en ruines, ne peuvent rivaliser avec le nouveau centre des affaires hérissé de hauts immeubles modernes aux façades de verre et d’acier. Les grands hôtels de la basse ville ont fermé, seuls s’y maintiennent quelques commerces et administrations.
Populaire et toujours bondé en journée le quartier et son centre névralgique vivent dans une agitation bruyante et un négoce permanent. Le quartier devient zone morte voire dangereuse dès la fermeture des échoppes. Chacun s’empresse alors de quitter cette partie de la ville qui a mauvaise réputation une fois le soleil couché. Mes amis lecteurs qui connaissent le centre ville de Pretoria ou de Johannesburg s’imagineront aisément l’atmosphère régnant à Kingston, un centre ville en tous points similaires aux capitales sud africaines administrative (Pretoria) et économique (Johannesburg).


Kingston - Basse ville
Nous déambulons dans les rues rayonnant autour de King’s street, l’artère principale. Cette avenue relie le front de mer à Parade, cœur de la ville. Une bordure herbeuse plantée de quelques arbres avec des bancs offre un refuge agréable pour contempler l’immense baie de Kingston à l’écart du raffut de downtown. Parade, centre névalgique de la basse ville, accueille le parc William Grant, rénové mi 2010. Une statue d’Alexander Bustamante, père de l’indépendance jamaïcaine trône en son centre. Rebaptisée Sir William Grant, en 1977 en l’honneur des activistes des droits des travailleurs, le parc est agrémenté d’une fontaine et de quelques statues. Une forteresse bâtie en 1694 gisait autrefois à cet emplacement. L’activité bat son plein autour du parc : magasins, terminaux d’autobus, ambiance assourdissante, klaxons, embouteillages….

Dans l’imagerie populaire, le reggae évoque la Jamaïque comme le jazz, la Nouvelle Orléans ou encore la salsa, Porto Rico. Nous sommes désappointés de n’entendre aucun héritier de Frederick Toots, Bob Marley ou Jimmy Cliff au coin de chaque rue. Le reggae né dans les rues des quartiers pauvres de Kingston, au détour des yards du ghetto de Trench Town aurait-il déserté Downtown ? J’en doute fort, peut-être aurions-nous dû nous risquer hors des zones  commerciales. Mais eusse-t-il été bien raisonnable ? La capitale traîne une réputation de ville ultra-violente et dangereuse. Les crimes sont toutefois localisés dans des quartiers populaires situés à l’ouest de la ville comme Tivoli garden, -théâtre des émeutes tragiques de juin 2010- ou les bidonvilles de Trench Town et Jones Town. Tout au long de la journée nous n’avons croisé aucun touriste, aucun « caucasien »(2) comme disent les Américains. Les fans du reggae roots et dancehall se donnent plutôt rendez-vous en juillet et août à Montego Bay et à Ochos Rios pour un grand festival annuel de musique jamaïcaine. 

En revanche, il n’est guère étonnant de ne croiser que peu de partisans du rastafarisme qui ne compterait que 10% d’adeptes parmi les Jamaïcains. Les dernières communautés vivent retirées dans les Blue Mountains à l’écart de la vie urbaine. Ceux rencontrés chemin faisant étaient-ils de vrais rastas pratiquants ou des rastas d’opérette ? Les dreadlocks en revanche étaient bien réels.  La plupart du temps ces tresses aux proportions étonnantes sont pour des raisons de commodités, enfermées dans des bonnets de laine(3), les tams, ou de hauts couvre-chefs juchés telles de massives tours au sommet du crâne du rasta(4).

Impossible de se procurer un plan de la ville, le petit fûté aurait été bien utile mais je l’ai oublié à bord…. Aussi après quelques heures passées à errer dans la basse ville, la chanson Kingston de Bernard Lavilliers en tête « 500 000 au ghetto, un million dans la ville qui brûle en plein soleil, deux millions dans une île juste au dessous du ciel…. », nous changeons de décor et rejoignons en bus Uptown, la nouvelle ville. Le quartier n’offre aucun intérêt touristique, nous ne nous y attardons pas, prenons place dans un bus à destination de Port Antonio et attendons le départ. La Jamaïque s’appréhende avec patience. Nous n’avons aucune contrainte horaire, Philéas n’appareillera pas sans son équipage. Quelques quarante minutes plus tard le bus est bondé. Les derniers marchands ambulants proposant boissons et en cas aux voyageurs déjà installés, descendent et continuent leurs négoces par les fenêtres entrouvertes jusqu’au départ du mini bus.

Le soleil commence à décliner lorsque nous arrivons fourbus, le dos en compote, les oreilles bourdonnantes à Port Antonio. Nous retrouvons avec délectation le calme et la sérénité de la marina.

Parcours de Philéas de  Haïti vers la  Jamaïque
Le surlendemain matin le cap est mis à l’ouest, sur Montego Bay, seconde ville de la Jamaïque. « Mobay », pour les initiés, se déploie dans un amphithéâtre protégé par des forêts qiu escaladent les collines. La baie est vaste, ourlée d’une succession de plages de sable fin et cernée de nombreux récifs. Le yacht club, très british est particulièrement bien fréquenté, le cadre et le service y sont soignés. Notre intention est de visiter la ville et d’accomplir les formalités de sortie de Jamaïque. Ici aussi les autorités viennent aux plaisanciers mais… nous sommes au milieu du weekend pascal, nous allons devoir attendre tout l’après midi leur venue et acquitter des frais conséquents d’overtime(5). 

La visite de Montego Bay passe à la trappe et finalement nous ne connaîtrons que le cadre huppé du Yacht Club devant lequel nous sommes autorisés à mouiller pour 10 US$ par personne, pratiquement le prix d’une place à quai à la marina de Port Antonio.  Nous disposons tout de même d’une connexion WIFI illimitée.

Etonnament les voiliers au mouillage dans la baie s’apparentent davantage à des épaves qu’à des yachts chics et bien entretenus. Difficile d’imaginer que leurs propriétaires fréquentent le club fermé et très bourgeois du Yacht Club.  La baie, agréable et tranquille sied aux pélicans et frégates qui évoluent au dessus du plan d’eau prêts à plonger pour remplir leur panier repas.

A l’issue de cette escale de découverte avortée, nous levons l’ancre pour une destination très attendue : Cuba.






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(1) libre pratique : En arrivant dans un pays étranger, le pavillon jaune « Québec » est hissé dans la mature. Il indique aux autorités que nous arrivons d’un pays étranger, que  le bateau est sain et que nous demandons la « libre pratique »  c’est-à-dire l’autorisation d’entrer et de circuler librement dans le pays.
Dans les îles les autorités font souvent une inspection phytosanitaire du bateau pour se préserver de maladies véhiculées par les végétaux et, les viandes. En Jamaïque nous avons eu droit à une inspection du réfrigérateur.
(2) personne de type occidental (blanc).
(3) rouge, jaune et vert. Les couleurs rastas : le rouge pour l’église triomphant ou le sang versé en Afrique, l’or  (jaune) pour la richesse de l’Afrique, le vert pour les prairies d’Afrique.
(4)  Les rastas portent leur chevelure naturelle sans la coiffer ni la couper et l’entretiennent avec des éléments naturels (l’aloé vera notamment).
(5) Overtime : temps travaillé hors des heures d’ouverture.  

PHILEAS A L ILE A VACHE (HAITI)




Le 27 mars au lever du jour l’île à Vache sort de la pénombre et livre discrètement ses formes au veilleur de service. Les abords de l’île sont constellés d’embarcations de pêcheurs, petites barques rustiques grées d’un bout dehors(1) basique. La superficie de leur voilure augmentée par cet ingénieux espar compense l’absence de moteur. 



A l’approche des côtes de nombreux casiers signalés par des petites bouteilles en plastique, envahissent le plan d’eau. Nous louvoyons  pour les éviter. Cette terre encore inconnue des équipages MédHermione offre l’hospitalité à la flottille pour son 5ème rassemblement. Philéas embouque le chenal débouchant Cap Feret, agréable baie bien abritée.

L’île à Vache allie beauté sauvage, soleil généreux et mer dénuée d’agressivité. La tranquillité y est cependant toute relative. L’ancre est encore sur le davier qu’une myriade de canots creusés dans des troncs d’arbre et d’engins flottants encercle les navigateurs : de jeunes hommes, des adolescents, des enfants abordent les équipages, toujours avec gentillesse,  pour proposer leurs services. Les emplois sur l’île sont rares et les autochtones abordent les capitaines en quête de quelques travaux : une coque à nettoyer, des inox à entretenir, un tour guidé de l’île, un approvisionnement en fruits et légumes, une lessive, etc… Les échanges sont toujours courtois, il n’est jamais question de mendicité. La volonté de travailler est manifeste.
Le choix de notre escale  n’est pas le fruit du hasard. Le séisme de 2010 a marqué les esprits et surtout frappé une population déjà bien démunie. Notre aventure MédHermione est une formidable occasion d’apporter notre pierre à l’édifice « aide humanitaire ». Des vêtements, des cahiers, des stylos, des livres, des savons et autres présents, collectés, achetés et affrétés par les MédHermionistes sont débarqués à l’île à Vache. Notre correspondant, Claude Grudé, général de gendarmerie (2S), ami de notre président, prend le relais. En poste à Haïti à plusieurs reprises, Claude connaît parfaitement le pays et les besoins du peuple. Nos dons sont destinés à un orphelinat de Pestel, situé sur l’île principale.

Pauvres mais pas miséreux, tels sont les autochtones. Ils ont la chance d’habiter sur une île séduisante de l’archipel, attirant des marins quelques fois généreux et bienfaisants. Si ici le superflu n’a pas cours, les îliens ne se plaignent pas mais discutent librement avec le voyageur de leurs besoins. Christian, le capitaine, est l’interlocuteur mandé par les boat-boys gravitant autour de Philéas. Le capitaine à bord d’un voilier est le chef, le patron par qui arrive travail ou matériel. Le premier jour de notre arrivée est un défilé incessant  de visiteurs. Impossible de satisfaire tout le monde. Notre capitaine fait don d’un masque et d’un tuba à un pêcheur. Reconnaissant le jeune homme se confond en sincères remerciements. 
Les habitants de Port au Prince sont de toute évidence moins chanceux. Les touristes n’y sont pas légion, la capitale n’a rien à leur offrir. La métropole a été touchée de plein fouet par le séisme de 2010. Les habitations y ont été dévastées laissant un spectacle de désolation aux infortunés sinistrés. Port au Prince, comme toutes les capitales des pays pauvres, attire les Haïtiens des zones plus ou moins reculées en quête d’un emploi et d’un avenir meilleur. Belle utopie, la réalité s’avère le plus souvent bien amère.

Sur l’île à Vache la nature n’est pas ingrate ; les produits de la terre et de la mer parviennent à satisfaire les besoins vitaux des habitants. Dans le village, rares sont les maisons construites en dur. Quelques échoppes ou stands en plein air proposent des produits de premières nécessités. A notre étonnement nous trouvons une boulangerie et une boutique à souvenirs. En revanche aucune habitation n’est équipée d’eau courante et bien entendu de salle de bains. Nous croisons des femmes transportant des seaux d’eau. Des fontaines ont été installées à deux ou trois endroits dans le village mais elles ne sont pas alimentées. Ces corvées poussent à une utilisation parcimonieuse de « l’or liquide ».


De quoi faire réfléchir les amateurs de douches bi-quotidiennes et de bains de nos contrées ! L’hôtel Morgan, l’un des deux établissements hôteliers implantés sur l’île dispose de dessalinisateurs pour satisfaire les besoins en eau douce de sa clientèle. Lors de notre passage, ils étaient en panne depuis trois semaines et le précieux liquide devait être acheminé via bateau par bidons depuis le village des Cayes situé sur l’île principale.

L’île à Vache, d’une longueur de 5 km, est traversée par une piste en terre battue dont une partie est bordée de lampadaires solaires. Curieuse priorité pour une île qui manque de l’essentiel ! La moyenne d’âge des autochtones croisés est peu élevée, probablement moins de trente ans. L’étranger en balade est bien souvent escorté par une ribambelle d’enfants. Notre premier débarquement ne passe pas inaperçu. Très vite des enfants nous emboîtent le pas et engagent la discussion. Une fillette d’ue huitaine d’année glisse sa main dans la mienne et propose de nous accompagner. Nous traversons le village et le cortège s’étoffe. Ces enfants, scolarisés, parlent le créole en famille et entre eux mais également le français et quelques bribes d’espagnol et d’anglais. 

Baie Feret
Notre regroupement, le second de l’année 2015, est l’occasion d’un briefing succinct sur les prochaines étapes de la phase pré-américaine suivi d’un rapide apéritif. L’hôtel Morgan, merveilleusement bien situé, met à notre disposition une terrasse surplombant la baie Feret.  Le propriétaire, Didier Boulard, Français d'origine, s'est retrouvé sur l'île par hasard, il y a près de 30 ans, lors d'un voyage en voilier. Après trois nuits de tempête, l'accueil de la population et la quiétude du site lui ont donné envie de rester plus longtemps. « Il y avait un charme particulier ici, complètement différent de ce que nous avions visité pendant 18 mois dans le reste des Antilles», raconte-t-il. Il lui aura fallu dix ans pour construire l'hôtel, qui date maintenant d’une quinzaine d’années et compte trente chambres. Au fil de nos navigations nous rencontrons des navigateurs qui ont cédé « au coup de foudre » d’une île à la beauté sauvage : à Union dans les îles Grenadines, à Nevis, au cap Vert,…. L’équipage de Philéas va t-il se laisser se séduire un de ces jours et poser ses valises sur une terre paradisiaque ?   

En revanche inutile de chercher le lieu de notre repas de retrouvailles dans le catalogue des tours opérateurs. Notre choix se porte sur la gargote de Ruth. La cuisine installée au bord de l’eau ressemble davantage à une installation de fortune qu’à une cuisine et ferait hurler d’effroi les services sanitaires français. Pas de plan de travail, pas d’évier et de robinet –bien inutile en l’absence d’eau courante-, les ingrédients sont préparés et disposés dans des bassines posées à même le sol. Des tables et des chaises sont posées sur la terre battue, des feuillages ou des toiles font office de toits mais l’accueil y est chaleureux. L’authenticité à l’état pur ! Ruth a recruté six cuisinières du village pour nous préparer un repas pour…30 personnes. Un vrai défi ! A défaut de quantité suffisante d’un seul plat pour tous les convives, un patchwork de mets locaux, à partager, est présenté sur les tables. A l’île à Vache si le mot abondance ne fait pas partie du dictionnaire, les idées ne manquent pas.

L’arrivée au pouvoir du  Président Michel Martelly est marquée par une volonté d’ouverture de Haïti au business et par l’annonce d’un  projet, « Destination touristique Ile-à-Vache », ambitieux chantier évalué à plus de 230 millions de dollars américains. Le plan d'aménagement touristique, mis en œuvre par le ministère du Tourisme, prévoit la tenue d'importants travaux dont : la construction d'un aéroport « international » avec une piste de 2,6 km ; la construction d’un axe routier le desservant ; le dragage du port, l'électrification et l'éclairage de toute la zone environnante ; la construction de plusieurs hôtels de luxe (1 000 chambres), de 2 500 villas –condominium-, d'un Centre communautaire ; d'une radio communautaire ; d'un Centre d'urgence, ainsi que la mise en place d’infrastructures agricoles. Le Premier-Ministre, Laurent Salvador Lamothe a procédé le 1er février 2013 officiellement à la pose de la première pierre de l’aéroport international des Cayes, toutes les dispositions sont déjà prises pour lancer prochainement les travaux de construction d’un autre aéroport international à l’île -à-vache. En revanche, la population ne se sent pas impliquée  dans ce projet et ne cache pas son appréhension quant à son avenir. Et pour cause, le gouvernement va s'emparer des terrains sans dédommager les Illavachois. Ces derniers craignent que l'île soit divisée en deux, d'un côté les riches et de l'autre les pauvres, laissés pour compte. Le leader de la population, Jean-Lamy Matulnes, a déposé une demande d'autorisation pour une radio communautaire. Il a été arrêté et mis en prison au pénitencier à Port au Prince sans jugement le 26 février 2014. Cette situation a provoqué une mobilisation internationale. Des menaces sont proférées régulièrement aux habitants qui font preuve d’initiatives pour développer un business non contrôlé par la « mafia » reconnue. Ils doivent rester dans l’ombre et dépendants. La gargote de Ruth déplaît fortement. Des arguments « sanitaires »  sont exposés aux touristes  pour les dissuader d’y prendre table : manque d’hygiène, pas de moyen frigorifique de conservation des aliments. Nous y avons néanmoins tenu notre grand repas de rassemblement et…. personne n’a été malade !

Si notre séjour haïtien fut court, nous conserverons en mémoire le souvenir d’une escale agréable dans une baie à la beauté naturelle encore préservée. Le sera-t-elle encore dans une dizaine d’années ?

Le 29 mars les premiers voiliers de la flottille appareillent. Philéas lève l’ancre le lendemain, le cap est mis sur la Jamaïque.

RAPIDE PRESENTATION DE L’ÎLE  A VACHE




L’île à Vache ou l’île à Vaches, est une île de la mer des Caraïbes, au sud d’Haïti. Elle est située à 10 km au sud-est de la ville haïtienne des Cayes. D’une superficie d'environ 45,96 km2, elle s’étend sur 15 km en longueur d'est en ouest et sa plus grande largeur est de 5 km. Elle héberge environ 14 000 habitants.

La partie ouest d’une altitude de 150 m, comporte plusieurs petits marais dans les vallées. La partie orientale est également marécageuse et possède une lagune avec l'une des plus grandes forêts de mangrove de l’île.

HISTOIRE

L’île fut un repaire de pirates, tel que l'Anglais Henry Morgan au XVIIème siècle. L'ex-corsaire Laurent de Graff devint ensuite son gouverneur.

En 1698, Jean-Baptiste du Casse, gouverneur de Saint Domingue, concède l'île-à-Vache à Jean Le Goff de Beauregard. L'île ne fait pas partie de la concession accordée à la Compagnie de Saint Domingue sur la presqu'île du Sud. Après la mort de Beauregard en 1699, la Compagnie de Saint-Domingue récupère l'île en 1700.