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mercredi 29 octobre 2014

DIRECTION LES ILES CANARIES


Mercredi 22 octobre au matin la mer capitule sans condition, et sans négociation elle nous libère de ses griffes. Notre seule force fut la patience. Il eut été vain de lutter. Le marin sait rester humble. A bord des voiliers les équipages sont parés. AlexMarie ouvre le bal. Mais quand vient le tour de Philéas, Eole a un regain de mauvaise humeur ; les rafales s’enchaînent pendant trois quarts d’heure. Les aussières ne sont pas encore larguées ! Nous attendons que le vent se fatigue.
09h30, nous démarrons le moteur et nous empressons d’embouquer le chenal d’accès. La tension est palpable ; plus vite nous serons de l’autre côté de l’étroite chicane,  plus vite nous serons en sécurité. Une rafale risque à tout moment de nous plaquer contre le mur. Il est important de se hâter. En moins de cinq minutes la passe est franchie. Nous sommes libres !


Trajet MadèreèGraciosa
Nous établissons les voiles et pour une fois depuis bien longtemps faisons route directe vers Graciosa, île des Petites Canaries située à 280 nautiques au sud-est de Madère. Le rythme des quarts par bordée est vite repris. Philéas s’empresse d’avaler les nautiques. Il allonge la foulée pendant mon premier quart nocturne, 7 nœuds puis 8. Une heure du matin le vent faiblit progressivement, notre vitesse a considérablement chuté lorsque je passe le relais à Christian.

Au lever du jour une dizaine de dauphins tachetés de l’Atlantique s’attardent autour de Philéas, plongent sous l’étrave, disparaissent pour réapparaître à la poupe. Quelques milles plus tard lorsque nous relevons la ligne de pêche, nous constatons que l’hameçon s’est volatilisé. Les dauphins nous auraient-ils joué un mauvais tour ?

A l’approche de Graciosa nous scrutons la surface de la mer ; les eaux canariennes sont réputées pour être fréquentées par nombre de cétacés, en particulier par les globicéphales tropicaux, les cachalots, les baleines et les grands dauphins. Notre attente n’est pas longue ; nous apercevons au loin leurs souffles tels des geysers, puis la forme d’une baleine se dessine, puis une seconde puis une troisième. Nous sommes cependant un peu loin pour en voir davantage.

En contrebas la plage des Français
En fin d’après-midi nous mouillons l’ancre au sud-est de l’île, le long de la plage réservée pour nous, la playa Francesa (la plage des Français)... Ici, aucune habitation ne dénature le littoral. A mille lieues du tourisme de masse l’île ne possède aucune route goudronnée et de vieilles Land Rover constituent le principal moyen de locomotion après la marche à pieds…. 

Arrivée au village de Caleta del Sebo par les chemins de sable
Environ 600 personnes vivent sur Graciosa et presque toutes à Caleta del Sebo, située à environ trente bonnes minutes de marche au nord-ouest de notre plage. Ce bourg a des allures de village marocain avec ses maisons à toits plats et aux façades immaculées. La décoration intérieure de l’église est d’une simplicité séduisante. Le thème de la mer prédomine ; derrière l’autel la coque d’une barque est suspendue sous un filet de pêcheur, les pupitres revêtent la forme d’une coquille d’huitre ou d’un bénitier1 sculptée dans le bois. Une chaise du même style y est assortie. Deux porte-cierges représentent des poissons en position verticale.

Le mouillage de Graciosa mérite que l’on s’y attarde. Prendre son petit déjeuner dans le cockpit de Philéas en contemplant un paysage préservé est un moment privilégié. Devant nous s’étend une plage de sable vierge épargnée par la main de l’homme, à l’arrière 27 km2 de garrigue aride la prolonge, interrompus par cinq sommets volcaniques alignés du nord au sud. Comment ne pas tomber sous le charme ? Loin de la civilisation, baignades,  marches et lecture occupent nos journées. En soirée les équipages de la mini flottille MédHermione se réunissent pour partager les petits plats préparés par les uns et les autres. Et c’est ainsi que nous nous retrouvons à quinze dans le cockpit d’Eraünsia, un Dufour 425 qui a rejoint nos rangs, à déguster notamment une piperade, spécialité basque préparée par notre hôte. A l’issue du weekend nos amis appareillent pour rejoindre Lanzarote. Philéas ne résiste pas à la tentation de prolonger son séjour de 24 heures. Christian en profite pour nettoyer la carène tandis que je prépare la cabine d’Alain, le premier de nos équipiers qui doit embarquer dès le lendemain à Arrecife.

Vue du haut d’un des sommets volcaniques de Graciosa
En fin de matinée un baigneur aborde Philéas. Agréable surprise, Embellie V est arrivée dans la nuit. Mouillée à quelques encablures mais cachée par un catamaran, nous n’avions pas remarqué sa présence. Rendez-vous est pris pour une conviviale soirée à bord du véloce centurion. A notre arrivée, Alain, le skipper-propriétaire, l’œil malicieux, nous énonce les us et coutumes pratiqués sur son voilier ; les deux personnes en charge du lavage de la vaisselle se tirent aux cartes, à l’issue du repas pour ne pas couper l’appétit des malheureux élus. Les invités ne sont pas exclus de ce jeu de chance ou de malchance !... Effectivement une petite boite en bois fait son apparition sur la table. D’une main innocente, je mélange les cartes et en distribue une à chaque convive. Deux cartes identiques et les gagnants sont désignés. Christian a le privilège d’en faire partie. Après une plongée sous la coque de Philéas, une petite plonge en compagnie de Nathalie,  maître coq2, pour clôturer la journée, quoi de plus naturel !  

Mardi 28 octobre, 08h00, nous appareillons pour Arrecife, capitale de l’île de Lanzarote et  lieu du premier regroupement de la flottille MédHermione avant sa progression vers le Cap Vert.

En face de Graciosa, l’île de Lanzarote


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1 Bénitier : Gros mollusque bivalve
2 Maître coq ou maitre queux : cuisinier

mardi 21 octobre 2014

ALERTE ROUGE A MADERE


PRIS  EN  OTAGES  PAR  LA  MER

Escale en marina rime avec sécurité et nuits sereines. Nous le pensions il y a trois jours encore…

Depuis samedi la mer et le vent se donnent la main pour créer un enfer. Des lames énormes se fracassent sur la digue de protection de la marina, rebondissent pour déferler à l’intérieur du port. La houle pénètre malicieusement par le chenal d’accès et s’engouffre jusqu’aux pontons. Des remous incessants et brutaux fouettent les catways1 sur lesquels les voiliers sont accostés. Les bateaux dansent, swinguent lourdement et tirent sur les amarres. La violence et la répétition incessante de ces mouvements saccadés entraînent la rupture des aussières2 qui raguent3 sur les pontons. Les pare-battages4, écrasés entre les coques et les catways, explosent.

Mine aperçu des déferlantes 

Durant la nuit de samedi à dimanche, c’est l’apothéose. Les équipages des voiliers dorment mal, se lèvent pour vérifier l’amarrage, le reprennent pour diminuer l’amplitude des mouvements. Au petit matin les traits tirés tous inspectent les catways avec inquiétude. Le ponton B sur lequel AlexMarie et Philéas sont amarrés a souffert ; il est décalé par rapport au ponton principal. Les raccords déjà fragiles à notre arrivée présentent des signes alarmants de faiblesse, voire de rupture. Le personnel de la marina consolide tant bien que mal l’infrastructure avec des sangles.
En fin d’après-midi, la situation ne s’est toujours pas arrangée, les mariniers  inquiets décident de déplacer les voiliers de notre flottille de l’autre côté de la marina, à l’opposé du chenal d’accès ; les pontons y sont moins exposés. Aucune place n’étant vacante, Atène, Black Niboune, Philéas puis AlexMarine s’amarrent à couple de bateaux occupant déjà les emplacements moins agités. Quel soulagement à bord, nous ne sommes plus ballotés dans tous les sens ! Nous apprécions ce confort retrouvé.

Nous suivons l’évolution de la météo de très près, échangeons nos données, nos points de vue, nos analyses, partageons nos incertitudes et nos interrogations avec nos compagnons de voyage. A l’extérieur de la marina  la situation semble plus gérable. La manœuvre de sortie cependant ne l’est pas ; la houle et un fort remous s’engouffrent toujours dans la chicane5 d’accès. Tenter une sortie est encore trop risqué. Une déferlante pourrait nous projeter contre les rochers ou contre la digue du chenal. Nous sommes prisonniers et à la merci du bon vouloir de la mer. Il est plus prudent d’attendre une accalmie avant de poursuivre notre route vers Lanzarote aux Canaries.


Marina Calheta à Madère -  Déferlante dans le chenal



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1 Catway : Un catway est un petit appontement flottant parcourant la longueur d'un bateau amarré, destiné à la circulation des personnes. Le catway est amarré à un ponton ou à un quai.
2 Aussière : Une aussière est un gros cordage employé pour l'amarrage et le remorquage de navires. Elle est traditionnellement faite de trois torons "commis" entre eux, ce qui signifie "réunis en spirale les uns autour des autres".
3 Raguer : Déchirer ou abîmer un cordage par frottement.
4 Pare-battage : bouée servant à  protéger la coque des chocs extérieurs contre quai ou contre les autres bateaux.
5 Chicane : Passage étroit et sinueux (en forme de S) pratiqué entre le mur et la digue pour permettre l’accès à la marina.

dimanche 19 octobre 2014

ARCHIPEL DE MADERE

L’ÎLE DE   PORTO  SANTO

Porto Santo n’est pas une destination très courue par les plaisanciers ; les navigateurs en route pour une traversée de l’Atlantique pourraient être tentés d’y faire une escale de repos. Mais à partir d’octobre les vents en décident souvent autrement. Le cap est alors mis sur les îles Canaries plus faciles d’accès. En revanche les habitués, amateurs de quiétude et de simplicité, y séjournent très régulièrement entre le printemps et l’automne. Les infrastructures de l’unique marina de l’île sont basiques mais le personnel y est d’une amabilité et d’un dévouement extrêmes comme bien souvent dans les îles Portugaises. Les services sont rendus sans compter et avec empressement. Quel contraste avec les ports méditerranéens trop courtisés en période estivale où l’amabilité est une option d’autant plus rare que le site est touristique.

Nous garderons longtemps en mémoire l’accueil qui nous a été réservé à notre arrivée à la marina ; une équipe de quai composée de nos amis de Black Niboune, d’équipiers de voiliers en escale et d’un marinier du port nous attendaient sur le ponton pour réceptionner nos aussières et nous amarrer au catway1. Un accostage de rêve,  le manœuvrier Brigitte n’avait pas besoin de se précipiter de la proue à la poupe de Philéas et de sauter sur le quai pour tourner les amarres. Ici l’entraide entre marins n’est pas un vain mot. L’ambiance village prévaut naturellement à la marina.   

Les premiers jours de notre séjour nous ne nous hâtons point nous laissant envahir par cette atmosphère sereine et reposante sans pour autant sombrer dans l’oisiveté. Nous redonnons un coup de jeunesse à Philéas : tâches ménagères, approvisionnement, etc… le tout entrecoupé de discussions sur les pontons, de visites chez les uns et les autres, de repas en commun. Ici le mot précipitation semble avoir été banni du vocabulaire. Nous faisons connaissance dans une ambiance familiale avec le Cherbourgeois Galaad de la fratrie des RM 1050.

A Porto Santo comme à Horta aux Açores les équipages des voiliers en escale immortalisent leur passage en peignant sur les murs bordant les pontons des fresques à l’effigie de leur bateau. Philéas n’a prévu ni peinture ni pinceau, mais surtout n’a pas la main artistique.

Présentation de Porto Santo


Située à environ 40 km au nord-est de Madère, l’île de Porto Santo offrit en 1418 un refuge au capitaine Zarco et à son équipage surpris par une tempête alors qu’ils se dirigeaient vers la côte ouest de l’Afrique. Percevant l’intérêt d’une telle base en plein océan, l’explorateur revint en 1419 revendiquer cette terre sauvage au nom du Portugal. Les premiers colons introduisirent des lapins et des chèvres, qui dépouillèrent Porto Santo de sa végétation. 

Falaises arides de Porto Santo 
Surnommée « l’île dorée » en raison de la couleur désertique de ses paysages et de sa longue plage de sable dorée de plus de sept kilomètres, elle jouit d’un climat méditerranéen très agréable influencé par le Gulf Stream.
 L’archipel de Madère comprend les îles de Madère, de Porto Santo, les Desertas et les Selvagens. Si toutes sont d’origine volcanique, seules Madère et Porto Santo sont habitées. Beaucoup plus aride et plus petite que l’île principale, Porto Santo ne mesure que 11 km de long pour 6 km de large.

La visite de l’île, côté terre, confirme l’aridité du climat constatée depuis la mer. De nombreuses résidences secondaires, la plupart récentes, fleurissent sur Porto Santo à des endroits improbables et sans cachet. L’ensoleillement et la douceur du climat semblent balayer l’absence d’attrait de ses paysages. 

S’agit-il de placements immobiliers comme certains de nos interlocuteurs le laissent supposer ou d’un réel engouement pour Porto Santo ?

Route de Philéas entre Porto Santo et Madère 

L’ÎLE   DE   MADERE

Une fois encore nous sommes aux ordres de monsieur Météo. Un fort vent de sud-ouest est annoncé dans les prochains jours. A la marina le personnel s’empresse d’arrimer les bateaux stationnés à sec. L’archipel est coutumier des forts coups de vent et les dégâts occasionnés par la furie d’Eole et de Neptune n’épargnent pas les marinas. Il est grand temps d’appareiller pour rejoindre Madère si nous voulons éviter d’être bloqués à Porto Santo pour 6 jours supplémentaires.
Sur les trois marinas de l’île principale une seule accepte de nous recevoir ; celle de Funchal la capitale est complète, celle de Quinta do Lorde  au sud de Madère se ravise après avoir validé notre réservation et à Calheta Philéas est le bienvenu mais l’accueil de notre ami Black Niboune, plus grand que notre RM, fait l’objet de négociations. Une fois sur place nous comprenons aisément la situation ; Calheta a été ravagée par une forte tempête en février 2010 engendrant d’importants dégâts matériels aux infrastructures et aux voiliers amarrés : d’énormes vagues déferlèrent par-dessus les digues de protection du port, une solide houle  entraîna de tels remous que les pontons et les taquets s’arrachèrent. Depuis aucun travaux de restauration n’a été engagé ;  catways et pontons montrent toujours des signes de faiblesse. La marina a dû avoir maille à partir avec les assurances et est réticente à accepter de grosses unités nécessitant des pontons fiables.

Près de 60 nautiques nous séparent de notre point de destination. Nous appareillons vers 10h30 cap au sud-ouest en tirant des bords au près. La première moitié du trajet Philéas progresse vite sur une mer légèrement agitée. Aux abords de la pointe sud de Madère Eole pris d’un coup de folie, change de direction et toussote. Nous nous éloignons de la côte pour toucher un peu plus de vent. En l’espace de deux minutes le vent s’époumone, la mer se creuse et nous ballote. A la hâte nous prenons un ris dans la grand-voile et troquons le génois contre la trinquette. Philéas gite à 45 degrés. Black Niboune situé à 1 ou 2 nautiques derrière nous est resté à proximité de la côte et  semble naviguer sur une mer paisible toutes voiles dehors. Nous faire secouer par choix n’est pas à vrai dire notre tasse de thé, nous nous rapprochons du littoral pour nous extraire de cette zone tourmentée.

Sud est de Madère
Un peu avant minuit nous embouquons le chenal d’accès très étroit de la marina. Nos amis des voiliers AlexMarie et Atène nous attendent sur les pontons malgré l’heure tardive. Ce soir nous sommes quatre voiliers de la flottille MedHermione en escale à Calheta ; l’ambiance des jours à venir promet d’être animée !

Madère nous voici ! Si en novembre 2011 un coup de vent nous avait interdit l’accès à l’archipel nous avons aujourd’hui l’intention de parcourir l’île en profondeur. Pendant trois jours  nous sillonnons l’île aux tunnels d’un point cardinal à l’autre. 223 tunnels (223 ce n’est pas une erreur…), routes sinueuses et escarpées, des points de vue spectaculaires plongeant tantôt dans la mer tantôt dans des vallées, des fleurs en abondance, telle est Madère. J’imagine la végétation au printemps : un festival de couleurs et de senteurs enivrantes offert avec générosité !

Les tunnels de Madère

A Madère le regard du visiteur prend de la hauteur ; les bananiers poussent à flanc de coteau. Le relief de l’île impose des cultures en terrasses. Les bananeraies abondent sur une grande partie de Madère y compris à Funchal la capitale. L’agriculture à échelle familiale est omniprésente. En revanche le relief escarpé n’est pas propice à l’élevage. Quelques rares bovidés broutent au nord-ouest de l’ile. Les produits laitiers sont importés des Açores.



Abondance de fruits locaux
Le marché des cultivateurs à Funchal vaut le détour. Les étals très colorés regorgent de fruits locaux : bananes-ananas, figues de barbarie, nèfles, anones, goyaves, papayes, mangues, fruits de la passion… Les vendeurs invitent les chalands aux allures de touristes à goûter leurs produits. Les prix de vente s’adaptent à la clientèle touristique ! Les légumes, viandes et poissons achetés essentiellement par les autochtones sont épargnés par cette inflation opportune. Au sous-sol, les poissonniers s’affairent, taillant dans la chair des thons, des espadons et des bonites. Le sabre, présent sur tous les stands, n’a pas une allure sympathique mais ce poisson à chair ferme, blanche et goûteuse est sur la carte de tous les restaurants madériens. Il est généralement servi grillé avec de la banane frite.

Présentation de l’île de Madère

De forme allongée d'est en ouest, Madère s'étend sur environ 55 km de long et 24 km de large et dispose de 160 km de côtes. L'altitude moyenne est de 1300 mètres. Sur la côte sud, à l'ouest de Funchal s'élève le cabo Girao, l'une des plus hautes falaises du monde.
  

De hauts sommets volcaniques séparés par de profonds ravins forment l’essentiel du cœur de Madère. Une différence marquée existe en le nord et le sud. Une importante population cultive les contreforts méridionaux où des toits de tuiles rouges tranchent avec le vert des vignobles et des bananeraies. Au nord les pentes plus arrosées sont densément boisées. Le long de la bande côtière, des terrasses s’accrochent aux flancs abrupts des vallées. En bord de mer des bassins creusés à même la roche constituent des piscines naturelles à eau de mer. Lors de notre passage les vagues déferlaient avec une telle puissance que nous n’avons pas eu le plaisir de nous y tremper.

La forêt de lauriers qui couvrait l'île avant sa colonisation et lui a donné son nom (Madeira signifie "bois" en portugais), a été presque entièrement brûlée par les premiers colons, et seules quelques surfaces dans les vallées au nord de l'île ont été préservées. Aujourd'hui des essences européennes et tropicales apportées par les colons cohabitent avec des espèces endémiques.Le sol volcanique très fertile et l'humidité en montagne favorisent la croissance d'une végétation exubérante, y compris sur des pentes presque verticales.

L'économie de la région repose essentiellement sur l'agriculture et le tourisme (20% du produit national brut). L'agriculture produit des bananes destinées au marché local et métropolitain, des fleurs et le vin de Madère qui jouit d'une grande réputation à l'exportation. L'industrie est peu diversifiée, elle est surtout à caractère artisanal avec la production de broderies, de tapisseries et d'articles de vannerie. La zone franche de Madère concentre des activités financières, industrielles et commerciales assurées par des firmes étrangères attirées par des incitations fiscales avantageuses. L'Union européenne a contribué de façon importante au développement des infrastructures par le moyen de subventions du  FEDER3 . Les travaux très importants d'adaptation du réseau routier -une partie des 223 tunnels notamment- rendus difficiles par la configuration très montagneuse de l'île, ont été financés en grande partie par ces fonds européens.

Notre séjour à Madère va se prolonger un peu. Philéas et ses compagnons de voyage reprendront la mer, d’ici quelques jours, en direction des îles Canaries dès qu’une fenêtre météo favorable  se présentera.




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1 Catway : Un catway est un petit appontement flottant de la longueur d'un bateau amarré, destiné à la circulation des personnes. Le catway est fixé à un ponton ou à un quai.
2 Aussière : Une aussière est un gros cordage employé pour l'amarrage et le remorquage de navires. Elles sont traditionnellement faites de trois torons "commis" entre eux, ce qui signifie "réunis en spirale les uns autour des autres".
3 FEDER : Fonds européens de développement régional crées pour renforcer la cohésion économique et sociale au sein de   l’Union européenne.  



dimanche 12 octobre 2014

GIBRALTAR - ARCHIPEL DE MADERE : Une traversée à oublier


Notre escale à la porte de l’Atlantique se prolonge. Les apéritifs dînatoires sur chacun des trois voiliers de la flottille MedHermione sont toujours des moments de convivialité appréciés. A défaut de places disponibles à quai à Gibraltar un regroupement imprévu à la marina espagnole de la Línea de la Concepción, située à quelques encablures,  nous a réunis. Cette marina moderne regorge de postes d’amarrage vacants ; la capitainerie est distante des pontons d’un bon kilomètre, pas très pratique pour les doléances en cours de séjour ! Le personnel ne brille ni par sa courtoisie ni par sa célérité. A notre arrivée l’employée, affairée à plier des cartons sur le comptoir d’accueil, ne s’est pas départie de sa tâche prioritaire. Ensuite, seulement, elle nous a remis un formulaire à remplir et est retournée vaquer à ses occupations : discuter avec sa collègue, répondre au téléphone… pendant que nous attendions bien sagement qu’elle se souvienne que nous étions là. La saisie informatique des renseignements nous concernant, entrecoupée par des travaux apparemment plus urgents, a nécessité encore un certain temps. 

La Línea n’est pas une ville très animée ; de nombreux commerces sont fermés ou n’ont peut-être même jamais vu le jour. Des locaux commerciaux aux façades murées sont à louer ou à vendre. Les rues sont sales et les espaces verts à défaut d’entretien vieillissent mal. En revanche un supermarché facilement accessible à pieds permet de parfaire l’approvisionnement en vivres du bord à des prix attractifs. 

Anone : fruit commun sur les étals de La Línea. Il ressemble au corossol sans en avoir le goût

Gibraltar, enclave anglaise située de l’autre côté de la frontière accueille chaque jour des milliers de travailleurs espagnols. Un défilé de véhicules encombre aux heures de pointe la route reliant les deux agglomérations. Nous nous y rendons à pieds, passeport en poche, passons le poste d’immigration et nous retrouvons immédiatement sur la piste d’atterrissage de l’aéroport que nous traversons pour arriver en ville. Assez insolite comme arrivée en territoire anglais : par le tarmac sans descendre d’un avion ! 


 L‘Océan Atlantique : un accueil à bras fermés !

Samedi 3 octobre : la météo est propice à la poursuite de notre voyage. La carte des courants de marée dans le détroit décide pour nous de notre heure d’appareillage ; 14 heures est le bon moment pour profiter des courants de marée. Notre passage en Atlantique s’effectue en douceur. Les conditions sont de loin plus agréables que lors de notre traversée en octobre 2011. Le vent toutefois reste un peu timide.
En fin de soirée, l’océan nous réserve un accueil renversant ; fin de la navigation idyllique ! Poséidon se réveille de mauvaise humeur, la houle grossit encore et encore et s’amuse à se croiser. Le vent s’invite à la partie « roulis et tangage à tous les étages ». Pour gagner en confort, que dis-je pour réduire notre inconfort, nous réduisons la toile tout au long de la nuit ; un ris1 puis deux dans la grand-voile, trinquette hissée puis trois ris dans la grand-voile et un ris dans la trinquette. Philéas fait de l’alpinisme, il gravit des montagnes pour retomber lourdement dans le creux de la vague. Mauvais temps pour les algues et coquillages qui voudraient squatter sa carène. A bord l’appétit est minime, nous ne viderons pas la cambuse ce soir. Notre courageux Philéas file 6 nœuds toute la nuit faisant fi de la furie de la mer. Poséidon nous malmène jusqu’au milieu de la matinée suivante puis la houle réduit d’intensité progressivement pour devenir supportable. Philéas retrouve sa garde-robe, la porte du réfrigérateur s’ouvre à nouveau ; l’équipage reprend des forces.

Les jours et les nuits se succèdent. Eole souffle bon an mal an, s’essouffle parfois, se ressaisit et réapparait avec plus ou moins de vigueur  mais toujours du nord-nord-ouest, sa seule constance (pour l’instant). Nous nous en contenterons. Mais avons-nous vraiment le choix ?

Plus que 120 nautiques nous séparent de notre destination… en théorie, en ligne droite. Le vent en décide autrement, fait un caprice, passe au sud-ouest et nous contraint encore une fois à tirer des bords. Nous restons positifs ; nous pourrions être sur une mer démontée avec des grains menaçants mais non le ciel est dégagé, le soleil brille. Nous n’avons pas de rendez-vous avec notre patron, nous avons le temps.
Nos pensées vont vers nos camarades de la flottille MedHermione encore à Toulon. Nous imaginons l’effervescence au club nautique, les équipages se hâtant dans les préparatifs des derniers jours, le marathon des dernières heures pour être fin prêts le jour « J ».
A l’occasion du lancement officiel de MedHermione, Toulon Provence Méditerranée organise un grand weekend nautique sur le port mettant en exergue le passé maritime de la ville de Toulon. Les organisateurs doivent être dans les starting-blocks eux aussi, pendant qu’à 1200 nautiques de là, nous glissons lentement vers l’archipel de Madère.

A une centaine de milles au nord-est de Madère nous passons à la périphérie d’une marmite géante, le Banco Seine ; les fonds remontent de 4 000 à une centaine de mètres seulement. Un phénomène d’upwelling2 engendre un bouillonnement impressionnant à la surface de la mer qui ralentit notre vitesse déjà peu élevée. Eole quant à lui persiste à souffler du sud-ouest ; notre destination étant dans le 250° nous louvoyons encore et toujours depuis le début de la matinée, à l’affût du moindre changement. Quand le vent adonne3 nous grattons quelques degrés et quand il refuse, nous en perdons autant.  

Ce soir mon amie la lune ne me tiendra pas compagnie pendant mon quart ; de vilains nuages s’accaparent le ciel et le recouvrent d’un manteau noir, des grains batifolent de-ci de-là. C’est parti pour la salsa du démon !

Le lendemain nous espérons arriver dans l’après-midi. Mais c’est sans compter avec les éléments qui se liguent contre nous. Eole se plante devant nous et affirme « You shall not pass4!». Une forte houle, venue d’on ne sait où, s’allie au vent. Un combat acharné est déclaré. Les forces sont inégales, nous devons ruser et avançons cahin caha en zigzags. La mer chaotique nous empêche de remonter au plus près du vent. Nous avons l’impression de faire un pas en avant, deux pas en arrière. Nous rêvons d’avoir un moteur puissant5 et de foncer dans la plume en faisant voler en éclats cette satanée barrière. De temps en temps la houle s’essouffle, nous en profitons pour allonger la foulée. Furieuse elle revient au galop, nous ballote, soulève Philéas qui retombe lourdement. Nous avons mal pour lui. Imaginez-vous plonger d’un promontoire de 2 mètres de haut et faire un plat. A l’intérieur comme à l’extérieur impossible de se déplacer normalement ; une main pour se tenir, une main pour travailler, les pieds plaqués sur le sol pour éviter la perte d’équilibre. Nous apprenons à marcher sur l’eau en ébullition.

Depuis plusieurs heures nous distinguons les lumières de l’île de Porto Santo, encore un dernier virement de bord et à 01h45 nous mouillons l’ancre sur la plage de la baie Moreno pour le reste de la nuit. La lutte est terminée, Eole et Neptune sont repartis chercher d’autres combattants… Demain matin nous rejoindrons la marina de Porto Santo et nos amis de Black Niboun contactés par VHF6.   




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1 Prendre un ris : lorsque le vent forcit, la superficie de la grand-voile peut être réduite en prenant ce que l'on  appelle un ris. Le nombre de ris pris dépend de la force du vent. Sur Philéas nous pouvons prendre jusqu'à trois ris dans la grand-voile et un ris dans la trinquette.
 2 Upwelling : remontée d'eaux froides profondes habituellement sur un littoral.
3 Adonner : le lit du vent s’écarte de l’axe du bateau, gonflant ses voiles.
   Refuser : c’est l’inverse.
4 You shall not pass ! : réplique culte de Gandalf le Gris dans le livre «  Le seigneur des anneaux » Vous ne passerez pas !
5 Le moteur de Philéas ne fait que 27 CV.
6 VHF (Very High Frequency) : émetteur-récepteur utilisé pour communiquer de voiliers à voiliers ou avec les stations côtières et pour la sécurité.    

mercredi 1 octobre 2014

J’AI VOULU VOIR CARTAGENE, ON A VU GIBRALTAR (1)




Pendant que nous musardions d’île en île les jours se sont égrenés inexorablement. L’automne s’est installé à notre insu ; il est grand temps de se rapprocher de Gibraltar. La sagesse du marin l’emporte sur l’envie du touriste.

Pour la seconde fois Cartagène ne sera pour moi qu’une ville fantôme, une utopie. Nous mouillons néanmoins le temps d’une nuit complète de sommeil au large de la plage Subida, mouillage bien abrité recommandé par des navigateurs anglais en 2008.

Contre fortune bon cœur (enfin surtout pour moi) nous mettons le cap au sud. La visibilité est réduite et une pluie fine persiste. Les cartes nous auraient-elles menti ? Serions-nous en Bretagne ?  La mer est bien formée, des creux de 2 mètres bousculent violemment Philéas. Tenir un cap vent arrière dans de telles conditions relève de la gageure. Nous manquons d’empanner2 plusieurs fois ; la houle ne permet pas de garder un cap régulier. A l’intérieur de Philéas, nous nous essayons d’un pas incertain et maladroit au tango.
Las de cette situation inconfortable, nous affalons la grand-voile, enroulons le génois et faisons route sous trinquette3. Les mouvements deviennent moins brutaux et Philéas file tout de même 6 à 7 nœuds avec des pointes à 8 nœuds4.

En début d’après midi, AlexMarie, un des voiliers de la flottille MedhHermione, tente un contact radio. Nous l’entendons « fort et clair » mais il ne nous reçoit pas. Son antenne VHF5 doit être plus puissante que la nôtre. Dommage nous n’aurons pas de vacation radio aujourd’hui6.

Un peu avant l’aube, le vent tombe pour devenir insignifiant, en Méditerranée il ne connaît pas de juste milieu. Fort heureusement la mer s’assagit, les moutons font place aux vaguelettes. Rien n’est plus terrible qu’une mer bien formée sans vent. Le bateau est alors balloté, le roulis et le tangage deviennent un vrai supplice pour les estomacs. L’accalmie annoncée a au moins 24 heures d’avance sur les prévisions ; Eole a décidé d’un repos dominical, ce qui ne nous sied guère ! Nous avons parcouru la moitié de la distance nous séparant de Gibraltar. Notre vitesse chute et notre heure probable d’arrivée est retardée. La navigation à la voile requiert de la patience, mot inconnu du vocabulaire de la génération actuelle du « tout, tout de suite ».

La visibilité reste médiocre sur cette autoroute de la mer, moult bateaux croisent notre route. La nuit surtout l’attention du veilleur est à son paroxysme et la tension monte lorsque cargos ou paquebots se dirigent droit sur nous, petit voilier. Contactés par VHF5, ils font souvent la sourde oreille, ignorant le risque de collision avec une coquille de  noix. Nous enrageons et maneouvrons pour les éviter, opération pas toujours aisée sous voiles.

Cette zone poissonneuse attire de nombreux dauphins. Les uns passent leur chemin rapidement mais la majorité joue avec Philéas ; ils plongent sous l’étrave, partent, reviennent. En fin d’après-midi nous avons le plaisir  d’assister à un ballet aquatique d’une quinzaine de minutes. 


Une nouvelle nuit de veille s’annonce, la circulation s’intensifie encore à l’approche de Gibraltar. Au lever du jour la mer est d’huile, la luminosité reste blafarde et la visibilité est inférieure à 1 nautique. Nous avons l’impression d’évoluer dans du coton. La vie animale n’est pas pour autant endormie ; les goélands sont en quête de leur petit déjeûner, les poissons sautent pour échapper à leurs prédateurs, les thons émergent de l’eau et jouent à saute-moutons. Nous n’avons jamais vu autant des bandes de dauphins autour de nous.

Gibraltar est dans son petit chausson, les températures ont fraichi !  

Lundi 29 septembre, fin de matinée nous arrivons enfin à Gibraltar après 48 heures de navigation.

le rocher de Gibraltar, amer bien connu des navigateurs

Si vous souhaitez en savoir davantage sur Gibraltar, je vous invite à consulter l'article posté sur ce blog en 2011 :  

2011 - octobre :  2 - En route vers Gibraltar 2011